Qu’il ressuscite, dans ses vers,
Des enfants de Pélops l’odieuse mémoire:
Puissant Dieu des raisins, digne objet de nos vœux,
C’est à toi seul que je me livre ;
De pampres, de festons, couronnant mes cheveux,
En tous lieux je prétends te suivre ;
C’est pour toi seul que je veux vivre,
Parmi les festins et les jeux.
Des dons les plus rares
Tu combles les cieux ;
C’est toi qui prépares
Le nectar des Dieux.
La céleste troupe,
Dans ce jus vante,
Boit à pleine coupe
L’immortalité.
Tu prêtes des armes
Au dieu des combats ;
Vénus sans tes charmes
Perdroit ses appas.
Du fier Polypheme
Tu domptes les sens ;
Et Phébus lui-même
Te doit ses accents.
Mais quels transports involontaires
Saisissent tout à coup mon esprit agité ?
Sur quel vallon sacré, dans quels bois solitaires[1]
Suis-je en ce moment transporté ?
Bacchus à mes regards dévoile ses mystères.
Un mouvement confus de joie et de terreur[2]
M’échauffe d’une sainte audace ;
Et les Ménades en fureur
N’ont rien vu de pareil dans les antres de Thrace.
Descendez, mère d’Amour ;[3]
Venez embellir la fête
Du Dieu qui fit la conquête
Des climats où naît le jour.
Descendez, mère d’Amour ;
Mars trop long-temps vous arrête.
Déjà le jeune Sylvain,
Ivre d’amour et de vin,
Poursuit Doris dans la plaine ;
Et les Nymphes des forêts,
D’un jus pétillant et frais
Arrosent le vieux Silène.
Descendez, mère d’Amour ;
Venez embellir la fête
Du Dieu qui fit la conquête
Des climats où naît le jour.
Descendez, mère d’Amour ;
Mars trop long-temps vous arrête.
Profanes, fuyez de ces lieux : [4]
le cède aux mouvements que ce grand jour m’inspire..
Fidèles sectateurs du plus charmant des Dieux,
Ordonnez le festin, apportez-moi ma lyre :
Célébrons entre nous un jour si glorieux.
Mais, parmi les transports d’un aimable délire,
Éloignons loin d’ici ces bruits séditieux
Qu’une aveugle vapeur attire :
Laissons aux Scythes inhumains[5]
Mêler dans leurs banquets le meurtre et le carnage :
Les dards du Centaure sauvage
Ne doivent point souiller nos innocentes mains.
Bannissons l’affreuse Bellone
De l’innocence des repas :
Les Satyres, Bacchus, et Faune
Détestent l’horreur des combats.
Malheur aux mortels sanguinaires,
Qui, par de tragiques forfaits,
Ensanglantent les doux mystères
D’un Dieu qui préside à la paix !
Bannissons Faffreuse Bellone
De l’innocence des repas:
Les Satyres, Bacchus, et Faune
Détestent J’horreuv des combats.
Veut-on que je fasse, la guerre ?
Suivez-moi, mes amis; accourez, combattez.
Remplissons cette coupe, entourons-nous de lierre.
Bacchantes, prêtez-moi vos thyrses redoutés.
Que d’atlilètes soumis ! que de rivaux par terre !
O fils de Jupiter, nous ressentons enfin
Ton assistance souveraine :
Je ne vois que buveurs étendus sur l’arène, [6]
Qui nagent dans des flots de vin.
Triomphe ! victoire ! [7]
Honneur à Bacchus !
Publions sa gloire.
Triomphe ! victoire !
Buvons aux vaincus.
Bruyante trompette,
Secondez nos voix,
Sonnez leur défaite :
Bruyante trompette,
Chantez nos exploits.
Triomphe ! victoire !
Honneur à Bacchus !
Publions sa gloire.
Triomphe ! victoire !
Buvons aux vaincus.
- ↑ Sur quel vallon sacré, dans quels bois solitaires, etc. C’est Horace,
décriant dans son transport vraiment bachique, liv. iii, ode xxv :
Quo me, Bacche, rapis tui
Plenum ? quas nemora, aut quos agor in specus,
Velox mente nova ?
Dans quel antre secret, sur quel mont solitaire,
D’un pouvoir tout nouveau le charme involontaire
Soudain m’a transporté ?
C’est toi, c’est toi, Bacchus ; puis-je te méconnoître ? etc.
(De Wailly.) - ↑ Un mouvement confus de joie et de terreur, etc. Horace, liv. ii,
ode xix :
Evoe ! recenti mens trepidat metu,
Plenoque Bacchi pectore turbidum
Lastatur ! etc.
Tout plein d’une récente ivresse,
Tout rempli de Bacchus, en sa vive allégresse,
Mon cœur encor troublé ressent un vague effroi.
(Le même.) - ↑ Descendez, mère d’Amour, etc. Le culte de Vénus se lie si naturellement
à celui de Bacchus, que les anciens se gardoient bien
de les séparer jamais. Écoutez Anacréon, ode xxxix :
Quand je bois, quand la folle ivresse
S’empare de mes sens émus,
Des parfums sur moi répandus
Baignant le sein de ma maltresse,
Dans ses bras je chante Vénus.
(de Saint-Victor.) - ↑ Profanes, fuyez de ces lieux ! L’enthousiasme est à son comble :
on sent, on reconnoît la présence du Dieu ; et le poète cède au
sujet, qui l’entraîne malgré lui. - ↑ Laissons aux Scythes inhumains, etc. Encore une imitation d’Horace, liv. i, ode xxvii :
Natis in usum lastitiæ scyphis
Pugnare Thracum est. Tollite barbarum
Morem ; verecundumque Bacchum
Sanguineis prohibete rixis.
La coupe est consacrée à la douce allégresse,
Si le Thrace en arme son bras,
De ces barbares mœurs loin de nous la rudesse !
Bacchus hait les sanglants débats.
(de Wailly.)
Les stances qui suivent ne sont que le développement poétique
de cette pensée d’Horace. - ↑ Je ne vois que buveurs étendus sur l’arène, etc. C’est le dernier
trait qui devoit compléter la description de cette aimable orgie.
Bacchus a triomphé : amis, ennemis, tout est vaincu, tout nage
autour de lui dans des flots de vin. H ne reste plus qu’à célébrer
la gloire du vainqueur. - ↑ Triomphe ! victoire ! Honneur à Bacchus ! De pareils vers te chantent,
pour ainsi dire, plutôt qu’ils ne se lisent : la musique en étoit
faite d’avance.