< Correspondance (Diderot)
Correspondance générale, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXIX (p. 443).


XV

AU MÊME.
[Automne 1757].

Je suis fait pour vous aimer et pour vous donner du chagrin. J’apprends que Mme d’Épinay va à Genève et je n’entends point dire que vous l’accompagniez. Mon ami, content de Mme d’Épinay, il faut partir avec elle. Mécontent, il faut partir beaucoup plus vite. Êtes-vous surchargé du poids des obligations que vous lui avez, voilà une occasion de vous acquitter en partie et de vous soulager. Trouverez-vous une autre occasion dans votre vie de lui témoigner votre reconnaissance ? Elle va dans un pays où elle sera comme tombée des nues, elle est malade, elle aura besoin d’amusements et de distractions.

L’hiver ! voyez, mon ami, l’objection de votre santé peut être beaucoup plus forte que je ne le crois. Mais êtes-vous beaucoup plus mal aujourd’hui que vous ne l’étiez il y a un mois et que vous ne le serez au commencement du printemps ? Ferez-vous dans trois mois d’ici le voyage plus commodément qu’aujourd’hui ? Pour moi, je vous avoue que si je ne pouvais supporter la chose, je prendrais un bâton et je la suivrais. Et puis, ne craignez-vous point qu’on ne mésinterprète votre conduite : on vous soupçonnera ou d’ingratitude ou d’un autre motif secret. Je sais bien que, quoi que vous fassiez, vous aurez pour vous le témoignage de votre conscience ; mais ce témoignage suffira-t-il seul ? Et est-il permis de négliger jusqu’à un certain point celui des autres hommes ? Au reste, mon ami, c’est pour m’acquitter avec vous et avec moi que je vous écrit ce billet ; s’il vous déplaît, jetez-le dans le feu et qu’il n’en soit non plus question entre nous que s’il n’avait point été écrit. Je vous salue, vous aime et vous embrasse.

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