MME AMABLE TASTU.
DÉCOURAGEMENT.
Ils me l’ont dit : parfois, d’un mot qui touche,
J’ai réveillé le sourire ou les pleurs,
Quelques doux airs ont erré sur ma bouche,
Sous mes pinceaux quelques fraîches couleurs.
Ils me l’ont dit ! connaissent-ils mon âme,
Pour lui vouer sympathie ou dédain ?
Non, je le sens, la louange ou le blâme
Tombe au hazard sur un fantôme vain.
Ah ! si mes chants ont brigué leur estime,
C’est que la mienne a passé mes efforts ;
Car mon talent n’est qu’une lutte intime
D’ardens pensers et de frêles accords.
Bruits caressans de la foule empressée,
Oh ! que mon cœur vous compterait pour rien,
Si je pouvais, seule avec ma pensée,
Me dire un jour : Ce que j’ai fait est bien !
Un jour, un seul ! pour jeter sur ces pages,
Pour, à mon gré, répandre dans mes vers
Ce que je vois de brillantes images,
Ce que j’entends d’ineffables concerts ! …
Un jour, un seul ! … mais non, pas même une heure !
Pour m’épancher, pas un mot, pas un son ;
L’esprit captif qui dans mon sein demeure
Bat vainement les murs de sa prison.
Ainsi s’accroît la flamme inaperçue
D’un incendie en secret allumé :
Lorsqu’au dehors elle s’ouvre une issue,
C’est qu’au dedans elle a tout consumé.
Si vous deviez aux voûtes éternelles
Dès le berceau fixer mes faibles yeux.
Pourquoi, mon Dieu, me refuser ces ailes
Qui d’un essor nous portent dans vos cieux ?
Moi qui, du monde aisément détachée,
Aspire à fuir les chaînes d’ici-bas,
Dois-je glaner, vers la terre penchée,
Ce peu d’épis répandus sous mes pas ?
Faut-il quêter dans la moisson commune
Mon lot chétif de peine et de plaisirs,
Quand il n’est point de si haute fortune
Que de bien loin ne passent mes désirs ! …
Puis, qu’après moi rien de moi ne demeure !
Penser ! souffrir ! sans qu’il on reste rien,
Sans imposer, devant que je ne meure,
A d’autres cœurs les battemens du mien ! …
Sons enchantés, qu’entend ma seule oreille,
Divins aspects, rêves où je me plus,
Vous, qui m’ouvrez un monde de merveille,
Où serez-vous quand je ne serai plus ?