GARGANTVA
ΑΓΑΘΗ ΤΥΧΗ
LA VIE
INESTIMABLE
DV GRAND
Gargantua, pere de
Pantagruel iadis cõpoſée
par L’abſtracteur
de quĩte eſsẽce
Liure plein de
pantagrueliſme.
M.D.XXXV.
On les vend a Lyon, chés
Frãçoys Iuste devãt noſtre
Dame de Confort.
Amis lecteurs qui ce livre lisez,
Despouillez vous de toute affection.
Et le lisants ne vous scandalisez,
Il ne contient mal ne infection.
Vray est qu’icy peu de perfection
Vous apprendrez, si non en cas de rire.
Aultre argument ne peut mon cueur elire.
Voiant le dueil qui vous mine & consomme,
Mieulx est de ris que de larmes escrire,
Pour ce que rire est le propre de l’homme.
- VIVEz IOYEUx
Prologue de lauteur.

Mais escoutaz vietz d’azes, que le mau
lubec vous trousque : vous soub-
vieigne de boyre à my pour la
pareille : et ie vous plegeray
tout are metys.
De la genealogie & antiquité de Gargantua.Chapitre. i

Les fanfreluches antidotées
trouvées en un monument antique.Chap. ii
I.E enu le grand dompteur des Cimbres
sant par l’aer, de peur de la rousée,
sa venue on a remply les timbres
beurre fraiz, tombant par une housée
u quel quand fut la grand mère arrousée
Cria tout hault, hers par grace peschez le.
Car sa barbe est presque toute embousée :
Du pour le moins, tenez luy une eschelle.
Aulcuns disoient, que leicher sa pantoufle
Estoit meilleur que gaigner les pardons :
Mais il survint un affecté de Marroufle,
Sorti du creux où l’on pesche aux gardons
Qui dist, messieurs pour dieu no’en gardons
L’anguille y est, & en cest estau mussé,
La trouverez (si de près reguardons)
Une grand tare au fond de son aumusse.
Qaund fut au poinct du lire le chapitre,
On n’y trouva que les cornes d’un veau.
Ie (disoyt il) sens le fond de ma mitre
Si froyd que autour me morfond le cerveau.
On l’eschauda d’un parfunct de naveau.
Et fut content de soy tenir es atres,
Pourveu qu’on feist un limonnier nouveau
À tant de gents qui sont acariatres.
Leur propos fut du trou de sainct Patrice,
De Gibraltar, & de mile aultres trous :
S’on les pourroit reduire à cicatrice,
Par tel moien, que plus n’eussent la tous.
Veu qu’il sembloit impertinent à tous :
Les veoir ainsi à chascun sent baisler.
Si d’adventure ilz estoient à poinct clous,
On les pourroit pour houstage bailler.
En cest arrest le corbeau fut pelé
Par Hercules, qui venoit de Lybie,
Quoy ? dit Minos, que ny suis ie appelé
Excepté moy tout le monde on convie.
Et puis l’on vieult que passé mon envie,
À les fournir d’huytres & de grenoilles.
Ie donne au diable en cas que de ma vie
Preigne à mercy leur vente de quenoilles.
Pour les matter survint Q.B. qui clope,
Au saufconduit des mistes Sansonnetz.
Le tamiseur, cousin du grand Cyclope,
Les massacra. Chascun mousche son nez.
En ce gueret peu de bougrins sont nez,
Qu’on n’ait berné sus le moulin à tan.
Courrez y tous : & à l’arme sonnez,
Plus y aurez, que n’y eustes antan.
Bien peu après, l’oyseau de Iuppiter
Delibera pariser pour le pire,
Mais les voyant tant fort se despitter,
Craignit qu’on mist ras/ ius/ bas/ mat l’empire
Et mieulx aima le feu du ciel empire
Au tronc ravir où l’on vend les forestz :
Que l’aer serain, contre qui l’on conspire,
Assubiectir es dictz des Massoretz,
Le tout conclud fut à poincte affilée,
Maulgré Até, la cuisse heronnière.
Que là s’asist, voyant Pentasilée
Sus ses vieulx ans prinse pour cressonnière
Chascun crioyt, villaine charbonnière
T’apartient il toy trouver par chemin :
Tu la tolluz la Rhomaine bannière,
Qu’on avoit faict au trait du parchemin.
Ne fust Iuno, que dessoubz l’arc celeste
Avecq son duc tendoit à la pippée :
On luy eust faict un tour si tresmoleste
Que de tous poincts elle eust esté frippée.
L’accord fut tel, que d’icelle lippée
Elle en auroit deux œufz de Proserpie.
Et si iamais elle y estoit grippée,
On la lieroit au mont de l’Albespine.
Sept moys après, houstez en vingt & deux,
Cil qui iadis anihila Cartage,
Courtoysement se mist en mylieu d’eulx
Les requèrent d’avoi son heritage :
Du bien qu’on feist iustement le partage
Scelon la loy que l’on tire au rivet,
Distribuent un tatin du potage
À ses amis, qui firent le brevet.
Mais l’an viendra signé d’un arc turquoys,
De cinq fuseaux, a trois culz de marmite :
On quel le dos d’un roy trop peu courtoys
Poivre sera soubz vn habit d’hermite.
O la pitié. Pour vne chattemite
Laisserez vous engouffrer tant d’arpens ?
Cessez/ Cessez/ ce masque nul n’imite,
Retirez vous au frère des serpens.
Cest ans passé, cil qui est, regnera.
Paissiblement avecq ses bons amis.
Ny Brusq, ny Smach lors ne dominera
Tout bon vouloir aura son compromis.
Et le soulas qui iadis fut promis
Es gens du ciel, viendra en son befroy.
Lors les haratz qui estoient esthommys
Triumpheront en royal palefroy.
Et durera ce temps de passepasse
Iusques à tant que Mars ayt les empas.
Puis en viendra un que tous aultres passe
Dilitieux, plaisant, beau sans compas,
Levez vos cueurs : tendez à ce repas
Tous mes féaulx. Car tel est trespassé
Qui pour tout bien ne retourneroit pas,
Tant sera lors clamé le temps passé,
Finablement celluy qui fut de cire
Sera logé au gond du Iacquemart.
Plus ne sera reclamé, cyre, cyre,
Le brimbaleur, qui tient le coquemart.
Heu, qui pourroit saisir son braquemart ?
Tout seroient nez les tintouins cabus :
Et pourroit on à fil de poulemart
Tout baffouer le maguazin d’abus.
Comment Gargantua fut onze moys
porté
au ventre de sa mère.Chap. iii

Comment Gargamelle estant grousse de
Gargantua se porta à manger tripes.Ch. 4

Comment Gargantua nasquit
en faczon bien estrange.Chapt. v.

Comment le nom fut imposé à
Gargantua :
et comment
il humoyt le piot.
Chapitre. vi

Comment on vestit Gargantua.Chapitre vii

Pour sa chemise, furent leveez neuf cens aulnes de toille de Chasteleraud, et deux cens pour les coussons en sorte de carreaux, lesquelz on mist soubz les esselles. Et n’estoit point froncée, car la fronseure des chemises n’a poinct esté inventée, si non depuis que les lingières, lors que la poincte de leur agueille estoit rompue, ont commencé à besoigner du cul.
Pour son pourpoint feurent leveez huyt cens treize aulnes de satin blanc, et pour les agueillettes quinze cens neuf peaux et demye de chiens. Lors commencza le monde attacher les chausses au pourpoint, et non le pourpoint aux chausses, car c’est chose contre nature, comme amplement a déclaré Olkam sus les Exponibles de M. Haultechaussade.
Pour ses chausses feurent leveez unze cens cinq aulnes, et un tiers d’estamet blanc, et feurent deschicqueteez en forme de columnes strieez, et crenelées par le darrière, affin de n’eschaufer les reins. Et flocquoit par dedans la deschicqueteure, de damas bleu, tant que besoin estoit. Et notez qu’il avoit tresbelles griefves, & bien proportionneez au reste de la nature.
Pour la braguette : feurent leveez seize aulnes un quartier d’icelluy mesmes drap, et feut la forme d’icelle comme d’un arc boutant, bien estachée ioyeusement à deux belles boucles d’or, que prenoyent deux crochetz d’esmail, en un chascun desquelz estoit enchassée une grosse esmeraugde de la grosseur d’une pomme d’orange. Car (ainsi que dict Orpheus libro de lapidibus, et Pline libro ultimo) elle a vertus erective et confortative du membre naturel. L’exiture de la braguette estoyt à la longueur d’une canne, deschicquettée comme les chausses, avecques le damas bleu flottant comme davant. Mais voyans la belle brodeure de canetille, et les plaisans entrelatz d’orfeuverie, guarniz de fins diamens, fins rubiz, fines turquoises, fines esmeraugdes, & unions Persicques, vous l’eussiez comparée à une belle corne d’abondance, telles que voyez es antiquailles, & telle que donna Rhea, es deux nymphes Adrastea, & Ida nourrices de Iuppiter. Tousiours gualante, succulente, resudante, tousiours verdoyante, tousiours fleurissante, tousiours fructifiante, plene d’humeurs, plene de fleurs, plene de fruictz, plene de toutes delices. Ie advoue dieu s’il ne la faisoyt bon veoyr. Mais ie vous en exposeray bien dadvantaige en livre que iay faict De la dignité des braguettes. D’un cas vous advertis, que si elle estoit bien longue & bien ample, si estoyt elle bien guarnie au dedans & bien avitaillée, en riens ne ressemblant les hypocrificques braguettes d’un tas de muguetz, qui ne sont plenes que de vent, au grant interest du sexe feminin.
Pour les souliers furent leveez quatre cens six aulnes de velours bleu cramoysi, & furent deschicquetez à barbe d’escrevisse bien mignonnement. Pour la quarreleure d’yceulx furent employez unze cens peaulx de vache brune, taillée à queue de merluz.
Pour son saye furent leveez dix & huyct cens aulnes de velours bleu tainct en grene, brodé à l’entour de belles vignettes & par le mylieu de pinthes d’argent de canetille, enchevestrées de verges d’or avecques force perles, par ce denotant qu’il feroit un bon fessepinthe en son temps.
Sa ceincture fut de troys cens aulnes & demye de cerge de soye, moytié blanche et moytié bleue.
Son espase ne fut Valentienne, ny son poignart Sarragossoys, car son père haissoyt tous Indalgos Bourrachous marranisez comme diables, mais il eut la belle espée de boys, et le poignart de cuir bouilly, pinctz et dorez comme un chascun soubhaiteroit.
Sa bourse fut faict de la couille d’un Oriflant, que luy donna Her Pracontal proconsul de Lybie.
Pour sa robbe furent levées neuf mille six cens aulnes moins deux tiers de velours bleu comme dessus, tout porfilé d’or en figure diagonale, dont par iuste perspective issoit une couleur innomée, telle que voyez es coulz des tourterelles, qui resiouissoit merveilleusement les yeulx des spectateurs.
Pour son bonnet feurent levées troys cens deux aulnes un quart de velours blanc, et fut la forme d’icelluy large & ronde à la capacuité du chief. Car son père disoit que ces bonnetz à la Marrabeise faictz comme une crouste de pasté porteroyent quelque iour mal encontre à leurs tonduz.
Pour son plumart portoit une belle grande plume bleue prise d’un Onocrotal du pays de Hircanie la saulvaige, bien mignonnement pendente suz l’aureille droicte.
Pour son image avoit en une plataine d’or pesant soixante & huyt marcs, une figure d’esmail competent en laquelle estoit portraict un corps humain ayant deux testes, l’une tirée vers l’aultre, quatre bras, quatre piedz, & deux culz, tel que dict Platon in Symposio, avoir esté l’humaine nature à son commencement mystic & au tour estoit escript en letres Ioniques :
ΤΑ ΕΑΥΤΗΣ.
Pour porter au col : eut une chaine d’or pesante vingt et cinq mille soixante & troys marcs d’or, faicte en forme de grosses bacces, entre lesquelles estoyent en œuvre gros Iaspes verds, engravez et taillez en Dracons tous environnez de rayes et estincelles, comme les portoit iadis le roy Nechepsos. Et descendoit iusques à la boucque du petit ventre. Dont toute la vie en eut l’emolument tel que sçavent les medicins Gregoys.
Pour ses guands furent mises en œuvre seize peaulx de lutins, et troys de loups guarous pour la brodure d’iceulx. Et de telle matière luy feurent faictz par l’ordonnance des Cabalistes de Sainlouand.
Pour ses anneaulx (lesquelz soulut son père qu’il portast pour renouveller le signe antique de noblesse) il eut on doigt indice de sa main gausche une escarboucle grosse comme un œuf d’austruche, enchassée en or de seraph bien mignonnement. On doigt medical d’icelle, eut un aneau faict des quatre metaulx ensemble : en la plus merveilleuse faczon : que iamais feust veue, sans que l’acier froissast l’or, sans que l’argent foullast le cuyvre. Le tout fut faict par le capitaine Chappuys et Alcofribas son bon facteur. On doigt medical de la dextre eut un aneau faict en forme spirale, on quel estoyent enchassez un balay en perfection, un diament en poincte, et une esmeraulde de Physon, de pris inestimable. Car Hans Carvel grand lapidaire du roy de Melinde les estimoit à la valeur de soixante neufz millions huict cens nonante et quatre mille moutons à la grand’laine, autant l’estimèrent les Fourques d’Auxbourg.
Les couleurs et livrée
de Gargantua.
Chapt. viii.

De ce qu’est signifié par les
coleurs blanc et bleu.
Chap. ix

De l’adolescence de Gargantua.Chapitre. x

Des chevaulx factices de Gargantua.Chap. xi

Comment Grantgousier congneut
l’esperit merveilleux de Gargantua à
l’invention d’un torchecul.Cha. xii

Tousiours laisse aux couillons esmorche :
Qui son hord cul de papier torche.
Quoy ? dist Grantgousier, mon petit couillon, as tu prins au pot ? veu que tu rime desià. Ouy dea (respondit Gargantua) mon roy, ie rime tant & plus : & en rimant souvent m’enrime. Escoutez que dict nostre retraict aux fianteurs :
Chiart
Foirart
Petart
Brenous,
Ton lard
Chapart
S’espart
Sus nous.
Hordous
Merdous
Esgous
Le feu de saint Antoine te ard :
Sy tous
Tes trous
Esclous
Tu ne torche avant ton depart.
En voulez vous dadventaige. Ouy dea,
La guabelle que à mon cul doibs,
L’odeur feut aultre que cuydois :
Ien feuz du tout empuanty.
O si quelqu’un eust consenty
M’amener une que attendoys.
En chiant.
Car ie luy eusse assimenty
Son trou d’urine, à mon lourdoys.
Ce pendant eust avecq ses doigtz
Mon trou de merde guarenty.
En chiant.
Or dictez maintenant que ie n’y sçay rien. Par la mer Dé ie ne les ay faict mie, Mais les oyant reciter à dame grand que voyez cy, les ay retenu en gibbessière de ma memoyre. Retournons (dist Grantgousier) à nostre propos. Retournons (dist Grantgousier) à nostre propos. Quel ? (dist Gargantua.) Chier ? Non, dist Grantgosier. Mais torcher le cul. Mais (dist Gargantua) voulez vous payer un bussat de vin Breton, si ie vous foys quinault en ce propos. Ouy vrayment, dist Grantgousier. Il n’est, dist Gargantua, point besoing de torcher le cul, sinon qu’il y ayt ordure. Ordure n’y peut estre, si on n’a chié : Chier doncques nous fault davant que le cul torcher. O (dist Grantgouzier) que tu as bon sens petit guarsonnet. Ces premiers iours ie te feray passer docteur en Sorbone par dieu, car tu as de raison plus que d’aage. Or poursuyz ce propos torcheculatif, ie t’en prie. Et par ma barbe pour un bussart tu auras soixante pippes Ientends de ce bon vin breton, lequel point ne croist en Bretaigne, mais en ce bon pays de Verron. Ie me torchay après (dist Gargantua) d’un couvrechief, d’un aureiller, d’une pantophle, d’une gibbessière, d’un panier. Mais o, le malplaisant torchecul. Puis d’un chappeau. & notez que des chappeaux les uns sont ras, les aultres à poil, les aultres velouttez, les aultres tafetassez, les aultres satinisez. Le meilleur de tous est celluy de poil. Car il faict tres bonne abstersion de la matière fecale. Puis me torchay d’une poulle, d’un coq, d’un poulet, de la peau d’un veau, d’un lievre, d’un pigeon, d’un cormaran, d’un sac d’advocat, d’une barbute, d’une coyphe, d’un leurre, Mais concluent ie dys & maintiens, qu’il n’y a tel torchecul que d’un oyson bien dumeté, pourveu qu’on luy tieigne la teste entre les iambes. Et m’en croyez suz mon honeur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirificque, tant par la doulceur d’icelluy dumet, que par la chaleur temperée de l’oizon, laquelle facillement est communicquée au boyau cullier & aultres intestines, iusques à venir à la region du cueur & du cerveau. Et ne pensez poinct que la beatitude des heroes & semidieux qui sont par les champs Elysiens soit en leur Asphodèle ou Ambrosie ou Nectar, comme disent ces vieilles ycy. Elle est selon mon opinion en ce qu’ils se torchent le cul d’un oyzon, et telle est l’opinion de maistre Jean Descosse.
Comment Gargantua feut institué
par un theologien en letres latines.Chap. xiii

Comment Gargantua fut mys
soubz aultres pedaguoges.
Chapi. xiiii.

Comment Gargantua fut envoyé à
Paris, et de l’enorme iument que le porta, & comment elle deffist les mousches
bovines de la Beauce.Cha. xv

Comment Gargantua paya la
bien venue es Parisiens :
& comment il
print les grosses cloches
de l’ecclise
nostre dame.Chap. xvi

Comment Ianotus de Bragmardo feut envoyé
pour recouvrir de
Gargantua les grosses cloches.Chapi. xvii.

La harangue de Maistre
Ianotus de Bragmardo
faicte à
Gargantua pour recouvrer
les cloches.
Chapi. xviii.

Comment le theologien emporta son drap,
& comment il eut proces contre les Sorbonistes.
Chapi. xix.

L’estude & diète de Gargantua,
scelon la discipline de ses precepteurs
Sorbonagres.Chap. xx

- Unde versus.
Lever matin, n’est poinct bon heur,
Boire matin est le meilleur.
Après avoir bien à poinct desieuné, alloit à l’ecclise, & luy portoit on dedans un grand penier un gros breviaire empantouflé, pesant tant en gresse que en fremoirs & parchemin poy plus poy moins unze quintaulx. Là oyoit vingt & six ou trente messes, & ce pendent venoit son diseur d’heures en place, empaletocqué comme une duppe, & tresbien antidoté son alaine à force syropt vignolat. Avecques icelluy marmonnoit toutes ces kyrielles : & tant curieusement les espluschoit, qu’il n’en tomboit un seul grain en terre. Au partir de l’ecclise, on luy amenoit sur une traine à beufz un faratz de patenostres de sainct Claude, aussi grosses chacune, qu’est le moulle d’un bonnet : & se pourmenant par les cloistres, galeries, ou iardin en disoit plus que seize hermites. Puis estudioyt quelque meschante demye heure, les yeulx assis dessus son livre, mais (comme dict le Comicque) son ame estoit en la cuysine. Pissant doncq plein official, se asseoyt à table. Et par ce qu’il estoit naturellement phlegmaticque, commençoit son repas, par quelques douzaines de iambons, de langues de beuf fumées, de boutargues, d’andouilles, & telz aultres avant coureurs de vin. Ce pendent quatre de ses gens, luy gettoient en la bouche l’un après l’aultre continuement de la moustarde à pleines palerées puis beuvoit un horrificque traict de vin blanc, pour luy soulaiger les roignons. Après mangoit selon la saison viandes à son appetit, & lors cessoit de manger quand le ventre luy tiroit. A boire n’avoit poinct de fin, ny de canon. Car il disoit que les metes et bournes de boyre estoient quand la personne beuvant, le liège de ses pantoufles enfloit en haut d’un demy pied. Puis tout lourdement grignotant d’un transon de graces, se lavoit les mains de vin frais, s’escuroit les dens avec un pied de porc, & devisoit ioyeusement avec ses gens. Puis le verd estendu l’on desployait force chartes, force dez, & renfort de tabliers. Là iouyoit au fleux, au cent, à la prime, à la vole, à le pille, à la triumphe : à la picardre, à l’espinay, à trente & un, à la condemnade, à la carte virade, au moucontent, au cocu, à qui a si parle, à pille : nade : iocque : fore, à mariage, au gay, à l’opinion, à qui faict l’un faict l’autre, à la sequence, aux luettes, au tarau, à qui gaigne perd, au belin, à la ronfle, au glic, aux honneurs, à l’amourre, aux eschetz, au renard, aux marrelles, aux vasches, à la blanche, à la chance, à troys dez, aux talles, à la nicnocque. A lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables, aux tables rabatues, au reniguebleu, au force, aux dames : à la babou, à primus secundus, au pied du cousteau, aux clefz, au franc du carreau, à pair ou sou, à croix ou pille, aux pigres, à la bille, au savatier, au hybou, au dorelot du lièvre, à la tirelitantaine, à cochonnet va devant, aux pies, à la corne, au bœuf \iolé, à la chevêche, à je te pince sans rire, à picoter, à déferrer l’asne, à laiau tru, au boiirry, bourry zou, à je m’assis, à la barbe d’oribus, à la bousquine, à tire la broche, à la boutte fojTe, à compère, prestez moy vostre sac, à la couille de bélier, à boute hors, à figues de Marseille, à la mousque, à l’archer tru, à escorcher le renard, à la ramasse, au croc madame, à vendre l’avoine, à soufSer le charbon, aux responsailles, au juge vit et juge mort, à tirer les fers du four, au fault villain, aux cailletaux, au bossu aulican, à Sainct Trouvé, à pinse morille, au poirier, à pimpompet, au triori. au cercle, à la truye, à ventre contre ventre, aux combes, à la vergette, au palet, au iensuis, à fousquet, aux quilles, au rampeau, à la boulle plate, au pallet, à la courte boulle, à la griesche, à la recoquillette, au cassepot, au montalet, à la pyrouete, aux ionchées, au court baston, au pyrevollet, à cline musseté, au picquet, à la seguette, au chastelet, à la rengée, à la souffete, au ronflart, à la trompe, au moyne, au tenebry, à l’esbahy, à la foulle, à la navette, à fessart, au ballay, à sainct Cosme ie viens adorer, au chesne forchu, au chevau fondu, à la queue au loup, à pet en gueulle, à guillemain baille my ma lance, à la brandelle, au trezeau, à la mousche, à la migne migne beuf, au propous, à neuf mains, au chapifou, aux ponts cheuz, à colin bridé, à la grotte, au cocquantin, à collin maillard, au crapault, à la crosse, au piston, au bille boucquet, aux roynes, aux mestiers, à teste à teste bechevel, à laver la coiffe ma dame, au belusteau, à semer l’avoyne, à briffault, au molinet, à defendo, à la virevouste, à la vaculle, au laboureur, à la cheveche, aux escoublettes enraigées, à la beste morte, à monte monte l’eschelette, au pourceau mory, à cul sallé, au pigeonnet, au tiers, à la bourrée, au sault du buysson, à croyzer, à la cutte cache, à la maille bourse en cul, au nic de la bondrée, au passavant, à la figue, aux petarrades, à pillemoustard, à cambos, à la recheute, au picandeau, à crocque teste, à la grolle, à la grue, à taille coup, aux nazardes, aux allouettes, aux chinquenaudes. Après avoir bien ioué & beluté temps, il convenoit boire quelque peu, c’estoient unze peguadz pour homme. Et soubdain après bancqueter c’estoit sus un beau banc, ou en beau plein lict s’estendre & dormir deux ou troys heures sans mal penser, ny mal dire. Luy esveillé secouoyt un peu les aureilles : ce pendent estoit aporté vin frais, là beuvoyt mieulx que iamais. Ponocrates luy remonstroit, que c’estoit maulvaise diète, ainsi boyre après dormir. C’est (respondit Gargantua) la vraye vie des pères. Car de ma nature ie dors sallé : & le dormir m’a valu autant de iambons. Puis commenceoit estudier quelque peu, & patenostres en avant, pour lesquelles mieulx en forme expedier, montoit sus une vieille mulle, laquelle avoit servy neuf Roys, ainsi marmonnant de la bouche & dodelinant de la teste alloit veoir prendre quelque conil aux filletz. Au retour se transportoit en la cuysine pour sçavoir quel roust estoit en broche. Et souppoit tresbien par ma conscience : & volentiers convioit quelques beuveurs de ses voisins, avec lesquelz beuvant d’autant, comptoient des vieulx iusques es nouveaulx. Entre autres avoit pour domesticques les seigneurs du Fou, de Gourville & de Marigny. Après souper venoient en place les beaux evangiles de boys, c’est à dire force tabliers, ou le beau flux, un, deux, troys : ou à toutes restes pour abregier, ou bien alloient veoir les garses d’entour : & petitz bancquetz par my : collations & arrière collations. Puis dormoit sans desbrider iusques au lendemain huict heures.
Comment Gargantua feut institué par
Ponocrates en telle discipline, qu’il ne perdoit
heure du iour.Chapitre. xxi

Comment Gargantua employt
le temps quand l’air estoit
pluvieux.Chap. xxii

Comment feut meue entre les fouaciers
de Lerné, & ceulx du pays de
Gargantua le grand debat,
dont furent faictes
grosses guerres.
Chapitre. xxiii.

Comment les habitans de Lerné par le commandement de Picrochole leur roy assaillèrent au despourveu les bergiers de Gargantua.Chap. xxiiii

Comment un moyne de Seuillé saulva le le cloz de l’abbaye du sac des ennemys.Chap. xxv

Comment Picrochole print d’assault la roche Clermaud & le regret & difficulté que feist Grangousier de entreprendre guerre.Chap. xxvi.

La teneur des letres que Grandgousier escryvoyt à Gargantua.Chap. xxvi.

Comment Ulrich Gallet feut envoyé devers Picrochole.Chap. xxviii.

La harangue faicte par Gallet à Picrochole.Chap. xxix.

Comment Grandgouzier pour achapter paix feist rendre les fouaces.Chap. xxx

Eulx venuz à la porte requirent parler à Picrochole de par Grandgousier. Picrochole ne voulut oncques les laisser entrer, ny aller à eulx parler, & leur manda qu’il estoyt empesché, mays qu’ilz dissent ce qu’ilz vouldroient au capitaine Toucquedillon lequel affeustoyt quelque pièce sus les murailles. Adoncq luy dict le bon homme. Seigneur pour vous rescinder toute ance de debat & houster toute excuse que ne retournez en nostre première alliance, nous vous rendons presentement les fouaces, dont est la controverse. Cinq douzaines en prindrent nos gens : elles furent tresbien payeez, nous aymons tant la paix que nous en rendons cinq charrettes : desquelles ceste icy sera pour Marquet, qui plus se plainct. Dadventaige pour le contenter entierement, voy là sept cens mille Philippus que ie luy livre, & pour l’interest qu’il pourroyt prendre, ie luy cède la mestayrie de la Pomardière, à perpetuité pour luy & les siens, possedable en franc alloy. Voyez cy le contract de la transaction. Et pour dieu vivons dorenavant en paix, & vous retirez en vos terres ioyeusement, cedant vostre place icy, en laquelle n’avez droict quelconques, comme bien le confessez Et amys comme par avant. Toucquedillon raconta le tout à Picrochole, & de plus en plus envenima son couraige luy disant : Ces rustres ont belle peur. Par dieu Grangouzier se conchie, le pouvre beuveur, ce n’est pas son cas d’aller en guerre, mais ouy bien de vuider les flascons. Ie suis d’opinion que retenons ces fouaces & l’argent, et au reste nous hastons de remparer icy pour suivre nostre fortune. Mais pensent ilz pas bien avoir affaire à une duppe, de vous paistre de ces fouaces ? Voilà que c’est, le bon traitement & la grande familiarité que leurs avez par cy davant tenue, vous ont rendu envers eulx contemptible. Oignez villain, il vous poindra. Poignez villain, il vous oindra. Cza/ cza, cza dist Picrochole, sainct Iacques ilz en auront, faictez ainsi qu’avez dict. D’une chose, dist Toucquedillon, vous vieulx ie advertir. Nous sommes icy assez mal avitaillez : & pourveuz maigrement des harnoys de gueule. Si Grangouzier nous mettoit siège, dès à present m’en irois faire arracher les dens toutes, seulement que troys me restassent, autant à vos gens comme à moy, avec icelles nous n’avangerons que trop à manger nos munitions. Nous dist Picrochole, n’aurons que trop mangeailles. Sommes nous icy pour manger, ou pour batailler ? Pour batailler vrayement dist Toucquedillon. Mais de la panse vient la dance. Et où faim règne : force exule. Tant iazer : dist Picrochole. Saisissez ce qu’ilz ont amené. Adoncques prindrent argent & fouaces & beufz & charrettes. Et les renvoyèrent sans mot dire, si non que plus n’aprochassent de se près pour la cause qu’on leur diroit demain. Ainsi sans rien faire retournèrent devers Grandgouzier, & luy contèrent le tout : adioustans qu’il n’estoyt aulcun espoir, de les tyrer à paix, si non à vive & forte guerre.
Comment certains gouverneurs de Picrochole par conseil precipité le mirent on dernier peril.Chap. xxvi.

Ie (dist Picrochole) le prandray à mercy. Voyre (dirent ilz) pourveu qu’il se face baptizer. Et oppugnerez les royaulmes de Tunix, de Hippes, hardiment toute Barbarie. En passant oultre retiendrez en vostre main Maiorque, Sardaine, Corsicque, & aultres isles de la mer Ligusticque & Baleare. Coustoyant à gausche, dominerez toute la gaule Narbonicque, Provence, & Allobroges, Genes, Florence, Lucques, & à dieu seas Rome. Le pouvre monsieur du pape meurt desià de peur. (Par ma foy dist Picrochole, ie ne luy baiseray sa pantoufle) Prinze Italie voylà Naples, Calabre, Apoulle et Sicile toutes à sac. Et Malthe avecq. Ie vouldrois bien que les plaisans chevaliers iadicts Rhodiens vous resistassent, pour veoir de leur urine. Ie iroys (dist Picrochole) voluntiers à Laurette. Rien, rien, dirent ilz, ce sera au retour. De là prendrons Candie, Cypre, Rhodes, & les isles Cyclades. Et donnerons sus la Morée. Nous la tenons. Sainct Treignan dieu gard Hierusalem. Car le Soubdan n’est pas comparable à vostre puissance. Ie (dist il) feray doncques bastir le temple de Solomon. Non dirent ilz, encores. Attendez un peu : ne soyez iamais tant soubdain à vos entreprises. Sçavez vous que disoit Octavien Auguste ? Festina lente. Il vous convient premierement avoir l’Asie minour, Carie, Lycie, Pamphilie, Cilicie, Lydie, Phrygie, Mysie, Betune, Charazie, Satalie, Samagari, Castamena, Luga, Savasta : iusques à Euphrastes. Voyrons nous, dist Picrochole, Babylone, & le mont Sinay ? Il n’est, dirent ilz, ià besoing pour ceste heure. N’est ce pas assez tracassé de avoir oultre passé les monts Caspiens, avoir transfreté la mer Hircane, & chevauché les deux Armenies, & les troys Arabies ? Par ma foy, dist il, nous sommes affolez ? Ha pauvres gens (Quoy ? dirent ilz) Que boyrons nous par ces desers ? Nous dirent ilz, avons ià donné ordre à tout. Par la mer Siriace vous avez neuf mille quatorze grands naufz chargées des meilleurs vins du monde, elles arrivèrent à Iaphes. Là se sont trouvez vingt & deux cent mille chameaux, & seize cens Elephans, lesquelz avez prins à une chasse environ Sigeilmes, lors que entrastes en Lybie : & dabondant eustes toute la Caravane de la Mecha. Ne vous fournirent ilz pas de vin à suffisance ? Voyre mays, dist il, nous ne beumez poinct frais. Ha, dirent ilz, par la vertus non pas d’un petit poisson un preux, un conquerent, un pretendent & aspirant à l’empire univers, ne peut pas tousiours avoir ses aizes. Dieu soit loué que estez venu vous et voz gens saufz & entiers iusques au fleuve du Tigre. Mais dist il, que faict ce pendent la part de nostre armée qui desconfit ce villain humeux Grandgousier ? Ilz ne chomment pas dirent ilz, nous les rencontrerons tantost. Ilz vous ont pris Bretaigne, Normandie, Flandres, Haynault, Barband, Artoys, Hollande, Selande, ilz ont passé le Rhein par sus le ventre des Sueves & Lanquenetz, & part d’entre eulx ont dompté Luxembourg : Louraine, la Champaigne, Savoye, iusques à Lyon, auquel lieu ont trouvé des garnizons retournans des conquestes navales de la mer Mediterranée. Et se sont reassemblez en Bohème, après avoir mys à sac Soueve, Witemberg, Bavières, Austriche, Moravie & Stirie. Puis ont donné fierement ensemble sus Lubek, Norvverge, Svveden, Richz, Dace, Gotthic, Eugroneland, les Estrelins, iusques à la Mer Glaciale. Et ce faict conquestèrent les Isles Orchades, & subiuguèrent Escosse, Angleterre, & Irlande. De là navigans par la Mer fabuleuse, & par les Sarmates, ont vaincu & dominé Prussie, Polonie, Lithuanie, Russe, Valache, la Transsylvane, & Hongrie, Bulgarie, Turquie, & sont à Constantinople. Allons nous, dist Picrochole, rendre à eulx, le plus toust. Car ie veulx estre aussi empereur de Trebizonde. Ne tuerons nous pas tous ces chiens Turcs & Mahumetistes ? Que diable, dirent ilz, ferons nous doncques ? Et donnerez leurs biens & terres, à ceulx qui vo’auront servy honnestement. La raison, dist il, le veult. C’est equité. Ie vous donne la Carmaigne, Surie, & toute Palestine. Ha, dirent ilz, Cyre, c’est du bien de vous : grand mercy. Dieu vous face bien prosperer. Là present estoit un vieux gentil homme esprové en divers hazars, & vray routier de guerre, nommé Echephron, lequel oyant ces propous dist. Iay grand peur que toute ceste entreprinse sera semblable à la farce du pot au laict, duquel un cordouannier se faisoit riche par resverie : puis le pot cassé n’eust de quoy disner. Que pretendez vous par ces belles conquestes ? Quelle sera la fin de tant de travaulx & traverses ? Ce sera, dist Picrochole, que repouserons à noz aises. Dont dit Echephron, & si par cas jamais n’en retournez ? Car le voyage est long & perilleux. Ne vault il pas mieulx que dès maintenant nous repousons, sans nous mettre en ces hazars ? O dist Spadassin, par dieu voicy un bon resveux, mais allons nous cacher au coing de la cheminée : & là passons avec les dames nostre temps, à enfiller des perles, ou à filler comme Sardanapalus. Qui ne se adventure n’a cheval ny mule. Ce dist Salomon. Qui trop (dist Echephron) se adventure perd cheval & mulle. Respondit Malcon. Baste, dist Picrochole, passons oultre. Ie ne crains que ces diables de legions de Grandgouzier. Cependent que nous sommes en Mesopotamie, s’ilz no’donnoient sus la queue quel remède ? Tresbons, dist Merdaille, une belle petite commission, laquelle vo’envoirez ès Moscovites, vous mettra en champ, pour un moment cinquante mille combatans d’eslite. O si vous me faictes vostre lieutenant, ie renye la chair, la mort, & le sang. Ie tueroys un pigne pour un mercier. Ie mors, ie rue, ie frape, ie tue. Suz, suz, dist Picrochole, qu’on depesche tout : & qui me ayme si me suyve.
Comment Gargantua laissa la ville de Paris pour secourir son pays & comment Gymnaste rencontra les ennemis.Chap. xxxii.

Comment Gymnaste soupplement tua le capitaine Tripet, et aultres gens de Picrochole.Chap. xxxiii.

Comment Gargantua demolliyt le chasteau du Gué de Vède, et comment ilz passèrent le Gué.Chap. xxxiiij.

Comment Gargantua soy peignant faisoit tomber de ses cheveulx les boulletz de artillerye. Cap. xxxv.

Comment Gargantua mangea en sallade six pelerins.Chap. xxxvi.

Comment le Moyne feut festoyé par Gargantua, & des beaulx propous qu’il tint en souppant. Chap. xxxvij.

Pourquoy les Moynes sont refuyz du monde, & pourquoy les uns ont le nez plus grand que les aultres. Chap. xxxviij.

Comment le Moyne feist dormir Gargantua, & de ses heures et breviare. Chap. xxxix.

Comment le Moyne donne couraige à ses compaignons, et comment il pendit à une arbre.Chap. xl.

Comment l’escarmouche de Picrochole feut rencontrée par Gargantua. Et comment le Moyne tua le capitaine Tyravant, & puis fut prisonnier entre les ennemys.Chap. xli.

Comment le Moyne se deffit de ses gardes, & comment l’escharmousche de Picrochole feut deffaicte. Chap. xlij.

Comment le Moyne amena les pelerins & les bonnes paroles que leur dist Grandgouzier.Chap. xliij.

Comment Grandgouzier traicta humainement Toucquedillon prisonnier. Chap. xliiij.

Comment Grandgouzier manda querir les legions, & comment Toucquedillon tua Hastiveau, puis feut tué par le commandement de Picrochole. Chap. xlv.

Comment Gargantua assaillit Picrochole dedans la Rocheclermaud & defist l’armée dudict Picrochole.Chap. xlvi.

Comment Picrochole fuiant feut surpris de males fortunes. & ce que feit Gargantua après la bataille. Chap. xlvij.

La concion que feist Gargantua es vaincus.Chap. xlviij.

Comment les victeurs Gargantuistes feurent recompensez après la bataille. Chap. xlix.

Comment Gargantua feist bastir pour le Moyne l’abbaye de Theleme. Chapitre l

Comment feut bastie & dotée l’abbaye des Thelemites.Chap. lj.

Inscription mise sus la grande porte de Theleme.Chap. lij.
y n’entrez pas Hypocrites, bigotz,
Vieulx matagotz, marmiteux boursouflez.
Tordcoulx badaux plus que n’estoient les Gotz.
Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz,
Haires, cagotz, caffars empantouflez.
Gueux mitouflez, frapars escorniflez
Befflez, enflez, fagoteurs de tabus
Tirez ailleurs pour vendre vo’abus.
Vous abus meschans
Rempliroient mes champs
De meschanceté
Et par faulseté
Troubleroit mes chants
Vous abus meschans.
Cy n’entrez pas maschefains practiciens
Clers bazauchiens mangeurs du populaire.
Officiaulx, scribes, & pharisiens
Iuges, anciens, que les bons parroiciens
Ainsi que chiens mettez au capulaire.
Vostre salaire est au patibulaire,
Allez y braire : icy n’est faict excès,
Dont en vo’cours on deust mouvoir procès,
Procès & debaz
Peu sont cy desbatz
Où l’on vient s’esbatre.
À vous pour debastre
Soient en plein cabatz
Procès & debatz.
Cy n’entrez pas vo’usuriers chichars,
Brissaulx, leschars, qui tousiours amassez.
Grippeminaulx, avalleurs de frimars,
Courbez, camars, qui en vo’coquemars
De mille marcs ià n’auriez asseze.
Poinct eguassez n’estes quand cabassez
Et entassez poiltrons à chicheface.
La male mort en ce pas vous deface,
Face non humaine
De telz gens qu’on maine
Braire ailleurs : ceans
Ne seroit seans.
Vuidez ce dommaine
Face non humaine.
Cy n’entrez pas vo’rassotez mastins
Soirs ny matins, vieulx chagrins & ialous.
Ny vo’aussy seditieux mutins
Larves, lutins, de dangiers palatins,
Grecz ou Latins : plus à craindre que Loups
Ny vous gualous verollez iusques à l’ous
Portez vo’loups ailleurs paistre en bonheur
Honneur, los, deduict
Par ioieux acords.
Tous sont sains au corps,
Par ce bien leur duict
Honneur, los, deduict.
Cy entrez vous, & bien soyez venuz
Et parvenuz tous nobles chevaliers,
Cy est le lieu ou sont les revenuz
Bien advenuz : affin que entretenuz
Grands & menuz tous soiez à milliers,
Mes familiers serez & peculiers
Frisques gualliers, ioyeux, plaisans mignons.
En general tous gantilz compaignons,
Compaignons gentilz
Serains & subtilz
Hors de vilité,
De civilité
Cy sont les houstilz
Compaignons gentilz.
Cy entrez vous qui le sainct evangile
En sens agile annoncez, quoy qu’on gronde.
Ceans aurez un refuge & bastille
Contre l’hostile erreur, qui tant postille
Par son faulx stile empoizonner le monde.
Entrez qu’on fonde icy la foy profonde.
Puis qu’on confonde & par voix, & par rolle
Les ennemys de la saincte parolle,
La parolle saincte
Ià ne soit extaincte
En ce lieu tressainct
Chascun en soyt ceinct,
Chascune ayt enceincte
La parolle saincte.
Cy entrez vo’dames de hault paraige
En franc couraige. Entrez en bon heur,
Fleurs de beaulté à celeste visaige,
À droict corsaige, & maintien prude et saige,
En ce passaige est le seiour d’honneur.
Le hault seigneur, qui du lieu fut donneur
Et guerdonneur, pou vo’l’a ordonné,
Et pour frayer à tout prou ordonné,
Ordonné par don
Ordonne pardon
À cil qui le donne.
Et tresbien guerdonne
Tout mortel preu d’hom
Ordonné par don.
Comment estoit le manoir des Thelemites.Chap. liij.

Comment estoient vestuz les religieux & religieuses de Theleme.Chap. liiij.

Comment estoient reiglez les Thelemites à leur manière de vivre.Cha. lv.

Enigme trouve es fondemens de l’abbaye des Thelemites.Cha. lvi.

Levez voz cueurs, & mes ditz entendez.
S’il est eprmys de croyre fermement
Que par les corps que sont au firmament,
Humain esprit de soy puisse advenir
A prononcer les choses à venir :
Ou si l’on peult par divine puissance
Du sort futur avoir la congnoissance,
Tant que l’on iuge en asseuré decours
Des ans longtains la destinée & cours :
Ie foys sçavoir à qui le veult entendre,
Que cest hyver prochain sans plus attendre
Voyre plus tost en ce lieu où no’sommes
Il sortira une manière d’hommes
Las de repoz & faschez de seiour,
Qui franchement iront & de plein iour
Suborner gents de toutes qualitez
A differentz & partialitez.
Et qui vouldra les croyre & escouter :
Quoy qu’il en doibve advenir & confier,
Ilz feront mettre en debatz apparentz.
AMys entre eulx & les proches parents,
Le filz hardy ne craindra l’impropère
De se bander contre son propre père.
Mesmes les grandz de noble lieu sailliz
De leurs subiectz seront assailliz,
Et le debvoir d’honeur & reverence,
Perdra pour lors tout ordre & difference.
Car ilz diront que chascun en son tour
Doibt aller hault, & puis faire retour.
Et sur ce poinct tant seront de meslées,
Tant de discordz, venues, & allées
Que nulle histoyre, ou sont les grans merveilles
Ne fait recit d’esmotions pareilles,
Lors se verra maint homme de valeur
Par l’esguillon de ieunesse & chaleur
Et croyre trop ce fervent appetit
Mourir en fleur, & vivre bien petit.
Et ne pourra nul laisser cest ouvraige
Si une foys il y mect le couraige :
Qu’il n’ayt emply par noises et debatz
Le ceil de bruit, & la terre de pas.
Alors auront non moindre autorité
Hommes sa, s foy, que gens de verité.
Car tous suyvront la creance et estude
De l’ignorance & sotte multitude,
Dont le plus lourd sera receu pour iuge.
O dommaigeable & penible deluge.
Deluge, sis ie & à bonne raison,
Car ce travail ne perdra sa saison
Ny n’en sera delivrée la terre :
Puisques à tant qu’il ne sorte à grand erre
Soubdaines eaux, dont les plus attrempez
En combattant seront prins & trempezn
Et à bon droict : car leur cueur adonné
A ce combat, n’aura point pardonné
Mesmes aux troppeaux des innocentes bestes,
Que de leurs nerfz, & boyaux deshonnestes,
Il ne soit faict, non aux dieux sacrifice,
Mais aux mortelz ordinaire service.
Or maintenant ie vous laisse penser
Comment le tout se poura dispenser.
Et quelz repos en noise si profonde
Aura le corps de la machine ronde.
Les plus heureux qui plus d’elle tiendront,
Moins de la perdre & graster s’abstiendront.
Et tascheriont en plus d’une manière
A la servir & rendre prisonnière,
En tel endroict que sa pauvre deffaicte
N’aura recours que à celluy qui l’a faicte.
Et pour le pis de son triste accident
Le cler soleil, ains que estre en occident
Lairra espandre obscurité sus elle,
Plus que l’eclipse, ou de nuyct naturelle,
Dont en un coup perdra la liberté,
Et du hault ciel la faveur & clarté
Ou pour le moins demeurera deserte.
Mais elle avant ceste ruyne & perte,
Aura longtemps monstré sensiblement
Un violent & si grand tremblement
Que lors Ethna ne feust tant agittée,
Quand sur un filz de Titan feut iectée.
Ne plus soubdain ne doibt estre estimé
Le mouvement que fist Inariné
Quand Tiphœus se fort se despita,
Que dans la mer les montz precipita.
Ainsi sera en peu d’heure rengée
A triste estat : & si souvent changée,
Que mesme ceulx qui tenue l’auront
En despitant la pauvreté lairront.
Lors sera près le terme bon & propice
De mettre fin à ce long exercice :
Car les grans eaux dont oyez deviser
Feront chascun la retraicte adviser.
Et toutesfoys devant le partement
On pourra veoir en l’air appertement
L’aspre chaleur d’une grand flame esprise,
Pour mettre à fin les eaux & l’entreprise.
Reste en après que yceulx trop obligez
Penez, lassez, travaillez, affligez,
Par le sainct vueil de l’eternel seigneur
De ces travaulx soient refaictz en bon heur :
Là verra l’on par certaine science
Le bien & fruict qui fort de patience
Car cil qui plus de peine aura souffert
Auparavant du lot pour lors offert
Plus recepvra, O que est à reverer
Cil qui pourra en fin perseverer.
La lecture de cestuy monument parachevé Gargantua souspira profondement, & dist es assistans. Ce n’est pas de maintenant que les gens reduictz à la creance evangelicque sont persecutez. Mais bien heureux est celluy qui ne sera scandalizé, & qui tousiours tendra au but, au blanc que dieu par son cher enfant nous a prefix, sans par ses affections charnelles estre distraict ny diverty. Le Moyne dist. Que pensez vous en vostre entendement estre par cest enigme designé & signifié ? Quoy, dist Gargantua, le decours & maintien de verité divine. Par sainct Goderan (dist le Moyne) ie pense que c’est la description du ieu de paulme. & que la machine ronde est l’esteuf. & ces nerfz & boyaulx de bestes innocentes, sont les raquettes. & ces gentz eschauffez & debatans, sont les ioueurs. La fin est que après avoir bien travaillé, ilz s’en vont repaistre, & grand chière.
