La Peinture
1668
- La céleste Junon, sur le front des nuages,
- Peignit, d’or et d’azur, cent diverses images ;
- Et la mère Cybèle, en mille autres façons,
- Colora ses guérets, ses prés et ses moissons.
- Mais le plaisir fut grand de voir Flore et Pomone,
- Sur les riches présents que la terre leur donne,
- À l’envi s’exercer, en couchant leurs couleurs,
- À qui l’emporterait, ou des fruits ou des fleurs.
- Les nymphes toutefois des tranquilles fontaines
- Et des mornes étangs qui dorment dans les plaines,
- Ravirent, plus que tous, les yeux et les esprits,
- Et sur les autres dieux remportèrent le prix.
- Ce fut peu d’employer les couleurs les plus vives
- À peindre, en cent façons, le penchant de leurs rives.
- D’une adresse incroyable, on les vit imiter
- Tout ce qu’à leurs regards on voulut présenter.
- Des plaines d’alentour, et des prochains bocages,
- Sur l’heure elles formaient cent divers paysages,
- Et le plus vite oiseau, sitôt qu’il paraissait,
- Était peint sur leur onde au moment qu’il passait.
- Au pied de l’Hélicon, d’un art inimitable,
- La nymphe avait construit sa demeure agréable ;
- Là souvent, Apollon, qui, plus voisin des cieux,
- Habite de ce mont les sommets glorieux,
- Venait avec plaisir voir les nobles pensées
- Qu’avait sa docte main sur la toile tracées,
- Et lui communiquait ses savantes clartés,
- Sur les dessins divers qu’elle avait médités.
- Un jour qu’il vint trouver cette nymphe charmante,
- Dans son riche palais, où d’une main savante,
- Sur les larges parois, et dans les hauts lambris,
- Elle-même avait peint mille tableaux de prix.
- Il la vit au milieu d’une superbe salle,
- Où le jour éclairait d’une lumière égale,
- Qui, par les traits hardis de ses doctes pinceaux,
- D’un soin laborieux retouchait les tableaux
- De nos jeunes beautés, qui, toutes singulières,
- Sous ses ordres suivaient neuf diverses manières,
- Et qui, s’étant formé de différents objets,
- Avaient représenté neuf sortes de sujets.
- Celle qui s’occupait aux tableaux de l’histoire,
- Sur sa toile avait peint l’immortelle victoire
- Que sur les fiers Titans remportèrent les dieux,
- Lorsqu’un injuste orgueil leur disputa les cieux.
- Sur l’Olympe, éclatant d’une vive lumière,
- Paraissait, des vainqueurs, la troupe auguste et fière,
- Et dans l’ombre gisaient les Titans dispersés,
- Fumants du foudre encor qui les a renversés.
- Une autre, moins sévère et plus capricieuse,
- Avait, des mêmes dieux, peint la fuite honteuse,
- Quand sur les bords du Nil, vivement alarmés,
- On les voyait encor à demi transformés ;
- D’un bélier bondissant, la toison longue et belle
- Cachait le souverain de la troupe immortelle.
- La timide Vénus, plus froide qu’un glaçon,
- Femme à moitié du corps, finissait en poisson,
- Et Bacchus, dont la peur rendait les regards mornes,
- Avait déjà d’un bouc et la barbe et les cornes ;
- Apollon, qui se vit des ailes de corbeau,
- Se détourna de boute et quitta le tableau.
- Il se plut dans un autre à voir le vieux Silène,
- Qui hâte sa monture, et, s’y tenant à peine
- Mène un folâtre essaim de faunes insolents,
- Et de dieux chèvre-pieds, ivres et chancelants ;
- Ensuite il contempla l’image de son père,
- Plus connaissable encor par ce saint caractère
- Qui le fait adorer des dieux et des humains,
- Que par le foudre ardent qu’il porte dans ses mains.
- Sur la toile suivante il vit les beaux rivages
- Du sinueux Pénée, et ses gras pâturages,
- Où, libre de tous soins, à l’ombre des ormeaux,
- Pan faisait résonner ses frêles chalumeaux.
- Dans un autre tableau, riche d’architecture,
- Il voit de son palais la superbe structure,
- Où brillent à l’envi, l’or, l’argent, le cristal,
- L’opale et le rubis du bord oriental.
- Dans le tableau suivant, il sent tromper sa vue,
- Par le fuyant lointain d’une longue avenue
- De cèdres pâlissants et de verts orangers
- Dont Pomone enrichit ses fertiles vergers.
- Ensuite il voit le Nil, qui sur ses blonds rivages,
- Abreuve de ses eaux, mille animaux sauvages.
- Puis les lys, les œillets, les roses, les jasmins,
- Qui, de la jeune Flore, émaillent les jardins.
- De ces tableaux divers, le beau fils de Latone
- Contemple avec plaisir le travail qui l’étonne,
- Admire leurs couleurs, leurs ombres et leurs jours ;
- Puis, regardant la nymphe, il lui tint ce discours :
- Beauté de l’univers, honneur de la nature,
- Charme innocent des yeux, trop aimable Peinture,
- Rien ne peut égaler l’excellence des traits
- Dont brillent à l’envi ces chefs-d’œuvre parfaits ;
- Mais puisque l’avenir, en ses replis plus sombres,
- N’a rien dont mes regards ne pénètrent les ombres,
- Je veux vous révéler les succès éclatants,
- Qu’aura votre bel art dans la suite des temps,
- Quand aux simples mortels, l’Amour, par sa puissance,
- En aura découvert la première science.
- La Grèce ingénieuse, à qui les dieux amis,
- De l’âme et de l’esprit tous les dons ont promis,
- Entre les régions doit être la première
- Sur qui de tous les arts s’épandra la lumière.
- Chez elle, les mortels savants et curieux
- Marqueront les premiers les mouvements des cieux,
- Les premiers verront clair dans cette nuit obscure
- Dont se cache aux mortels la secrète nature.
- Le Méandre étonné, sur ses tortueux bords,
- De la première lyre entendra les accords.
- Votre art en même temps, pour comble de sa gloire,
- Fera mille tableaux, d’éternelle mémoire ;
- Avec un soin égal, les fruits représentés,
- Par les oiseaux déçus se verront becquetés,
- Et là, d’un voile peint avec un art extrême,
- L’image trompera les yeux du trompeur même.
- D’un maitre renommé, le chef-d’œuvre charmant,
- De sa ville éteindra l’affreux embrasement.
- D’un autre plus fameux, la main prompte et fidèle,
- Peindra la Cythérée, et la peindra si belle
- Que jamais nul pinceau n’osera retoucher
- Les beaux traits que le sien n’aura fait qu’ébaucher.
- Par mille autres travaux d’une grâce infinie,
- La Grèce fera voir sa force et son génie.
- Mais, comme le destin veut que de toutes paris,
- Habitent tour à tour la science et les arts ;
- Que de ses grands desseins la sagesse profonde,
- En veut avec le temps honorer tout le monde,
- Et dans tous les climats des hommes habités,
- Répandre de leurs feux les fécondes clartés ;
- Les jours arriveront où l’aimable Italie,
- Des arts et des vertus doit se voir embellie ;
- Le chantre de Mantoue égalera les sons
- Dont l’aveugle divin animait ses chansons ;
- Et du conseil romain les paroles hautaines
- Feront autant de bruit que les foudres d’Athènes.
- Alors éclatera l’adresse du pinceau,
- Et l’ouvrage immortel du pénible ciseau ;
- Là, de mille tableaux les murailles parées,
- Des maitres de votre art se verront admirées,
- £t les marbres vivants, épars dans les vergers,
- Charmeront à jamais les yeux des étrangers.
- Mais à quelque degré que cette gloire monte,
- Rien ne peut empêcher que Rome n’ait la honte,
- Malgré tout son orgueil, de voir avec douleur
- Passer chez ses voisins ce haut comble d’honneur ;
- Lorsque par les beaux-arts, non moins que par la guerre,
- La France deviendra l’ornement de la terre,
- Elle aura quelque temps ce précieux trésor,
- Qu’elle ne croira pas le posséder encor ;
- Mais quand, pour élever un palais qui réponde
- À l’auguste grandeur du plus grand roi du monde,
- L’homme, en qui tous les arts sembleront ramassés,
- Du Tibre glorieux les bords aura laissés ;
- Elle verra qu’en vain de ces lieux elle appelle
- La science et les arts qui sont déjà chez elle :
- Sagement, toutefois, d’un désir curieux,
- Les élèves iront enlever de ces lieux,
- Sous de vieilles couleurs, la science cachée,
- Que vainement ailleurs leur main aurait cherchée ;
- Et, mesurant des yeux ces marbres renommés,
- En dérober l’esprit dont ils sont animés.
- Les arts arriveront à leur degré suprême,
- Conduits par le génie et la sagesse extrême
- De celui dont alors le plus puissant des rois,
- Pour les faire fleurir, aura su faire choix.
- D’un sens qui n’erre point, sa belle âme guidée,
- Et possédant du beau l’invariable idée,
- Élèvera si haut l’esprit des artisans,
- En leur donnant à tous ses ordres instruisants,
- Et leur fera tirer, par sa vive lumière,
- Tant d’exquises beautés du sein de la matière,
- Qu’eux-mêmes, regardant leurs travaux plus qu’humains,
- À peine croiront voir l’ouvrage de leurs mains.
- Nymphe, c’est en ce temps que le bel art de peindre
- Doit monter aussi haut que l’homme peut atteindre,
- El qu’au dernier degré les pinceaux arrivés
- Produiront à l’envi des tableaux achevés :
- Tableaux, dont toutefois l’ample et noble matière,
- Que le prince lui seul fournira tout entière,
- Encor plus que l’art même aura de l’agrément,
- Et remplira les yeux de plus d’étonnement.
- Mille exploits inouïs, d’éternelle mémoire,
- Se verront dans le cours de sa brillante histoire,
- Où tout ce que la fable a jamais inventé,
- Aura moins d’agrément, de force et de beauté.
- Rien ne peut égaler la science infinie
- Des maitres qui peindront, au gré de leur génie,
- Ses galants carrousels, ses spectacles charmants,
- Ses ballets, ses festins, ses divertissements.
- Combien sera la main, noble, savante et juste,
- Qui donnera la vie à ce visage auguste,
- Où seront tous les traits par qui les souverains
- Charment et font trembler le reste des humains !
- Que ceux dont le bon gout donné par la nature,
- Aime, admire et connait la belle architecture,
- Auront l’esprit content et les yeux satisfaits,
- De voir les grands dessins de ses riches palais,
- Qui, pour leur noble audace et leur grâce immortelle»
- Des pompeux bâtiments deviendront le modèle !
- Qu’il sera doux de voir peint, d’un soin curieux,
- De tous les beaux vergers le plus délicieux ;
- Soit pour l’aspect fuyant des longues avenues,
- Soit pour l’aimable objet des différences vues,
- Soit pour le riche émail et les vives couleurs
- Des parterres semés des plus riantes fleurs ;
- Soit pour ces grands étangs, et ces claires fontaines,
- Qui, de leurs vases d’or, superbes et hautaines,
- Et malgré la nature, hôtesses de ces lieux,
- Par le secours de l’art monteront jusqu’aux cieux ;
- Soit enfin pour y voir mille troupes errantes,
- De tous les animaux d’espèces différentes,
- Qui, parmi l’univers jusqu’alors dispersés,
- Dans ce charmant réduit se verront ramassés !
- C’est là que le héros, las du travail immense
- Qu’exige des grands rois l’emploi de leur puissance,
- Ayant porté ses soins sur la terre et les (lots,
- Ira gouter en paix les charmes du repos,
- Afin qu’y reprenant une vigueur nouvelle,
- Il retourne aussitôt où son peuple l’appelle.
- Ainsi, lorsque mon char, de la mer s’approchant,
- Roule d’un pas plus vite aux portes du couchant,
- Après que j’ai versé dans tous les coins du monde
- Les rayons bienfaisants de ma clarté féconde,
- J’entre, pour ranimer mes feux presqu’amortis,
- Dans l’humide séjour des grottes de Thétis,
- D’où sortant, au matin, couronné de lumière,
- Je reprends dans les cieux ma course coutumière ;
- Dans ces temps bienheureux de gloire et de grandeur,
- Telle doit de votre art éclater la splendeur.
- — Là se tut Apollon, et la nymphe ravie
- De voir de tant d’honneur sa science suivie,
- Se plaignit en son cœur des destins envieux,
- Qui remettaient si loin ce siècle glorieux.
- Le Brun, c’est en nos jours que l’on voit éclaircies,
- Du fidèle Apollon les grandes prophéties ;
- Puisqu’enfin dans la France on voit de toutes paris,
- Fleurir le règne heureux des vertus et des arts.
- Tu sais ce qu’on attend de ces rares génies
- Qui, pour connaitre tout, ont leurs clartés unies ;
- Et pourquoi désormais la nature et les cieux,
- N’ont rien d’impénétrable à leur œil curieux ;
- De combien d’Amphions les savantes merveilles,
- De combien d’Arions les chansons non pareilles.
- Nous ravissent l’esprit par leurs aimables vers,
- Et nous charment l’oreille au doux son de leurs airs !
- Mais il suffit de voir ce que ta main nous donne,
- Ces chefs-d’œuvre de l’art, dont l’art même s’étonne,
- Et ce qu’eu mille endroits, dans les grands ateliers,
- Travaille, sous tes yeux, la main des ouvriers.
- C’est là que la peinture, avec l’or et la soie,
- Des grands évènements tous les charmes déploie,
- Et que la docte aiguille, avec tant d’agrément,
- Trace l’heureux succès de chaque évènement.
- Là, d’un art sans égal, se remarque dépeinte,
- Du monarque des lys la ferveur humble et sainte,
- Lorsqu’il reçoit les dons du baume précieux,
- Qu’autrefois à la France envoyèrent les cieux.
- Là, les yeux sont charmés de l’auguste présence
- De deux princes rivaux qui jurent alliance,
- Et devenus amis, mettent fin aux combats
- Qui depuis trente étés désolaient leurs états.
- Louis, le cœur touché d’une solide gloire,
- Et vainqueur des appas qu’étalait la victoire,
- Préfère, sans regret, le repos des sujets
- Au bonheur assuré de ses vaillants projets.
- Ici brille l’éclat de l’heureuse journée,
- Où le sacré lien d’un illustre hyménée,
- Parmi les vœux ardents des peuples réjouis,
- Joint le cœur de Thérèse à celui de Louis.
- Là se voit l’heureux jour, favorable à la France,
- Qui donne tous les biens qu’enferme l’espérance,
- Faisant naitre un dauphin, en qui le ciel a mis
- De quoi remplir le sort à la France promis.
- Sur un autre tableau s’aperçoit figurée
- Dunkerque, qui, des mains de l’Anglais retirée,
- Ouvre ses larges murs et le fond de son cœur
- À Louis, son monarque et son libérateur ;
- Ensuite on aperçoit la nation fidèle,
- Qui, pleine de respect, de chaleur et de zèle,
- Vient à ce grand héros d’elle-même s’offrir,
- Et, sous ses étendards, veut ou vaincre ou mourir.
- Ici le fier Marsal, au seul éclair du foudre,
- Se rend avant le coup qui l’eût réduit en poudre ;
- Et du courroux du prince évitant le malheur,
- Éprouve sa clémence au lieu de sa valeur.
- Ici, devant les yeux de l’Europe assemblée,
- L’Espagne reconnait que, de fureur troublée,
- Elle a, près la Tamise, épanché notre sang,
- Et nous cède à jamais l’honneur du premier rang.
- Au front de son ministre on voit la honte empreinte,
- Sur ceux des étrangers la surprise et la crainte ;
- Dans les yeux des Français brille l’aise du cœur,
- Et dans ceux de Louis l’héroïque grandeur.
- Ici, pour expier une pareille offense,
- Rome vient de Louis implorer la clémence,
- Promet d’en élever d’éternels monuments,
- El le désarme ainsi de ses ressentiments.
- Là le Rab étonné, voit son onde rougie
- De l’infidèle sang des peuples de Phrygie,
- Que le bras des Français, par cent vaillants efforts,
- Au salut de l’empire a versé sur ses bords.
- Mais, Le Brun, désormais il faut que tu t’apprêtes
- À donner à nos yeux ces fameuses conquêtes,
- Où le prince lui-même, au milieu des combats,
- De son illustre exemple animait les soldats ;
- Où, pareil aux torrents qui, tombant des montagnes,
- Entrainent avec eux les moissons des campagnes,
- Il a, d’un prompt effort, fièrement renversé
- Tous les murs ennemis où son cours a passé.
- De tant de grands sujets un amas se présente,
- Capable d’épuiser la main la plus savante,
- Que sans doute étonné de ce nombre d’exploits,
- Ta peine la plus grande est d’en faire le choix.
- Mais garde d’oublier, quand d’un pas intrépide
- On le vit affronter la tranchée homicide,
- Qui, surprise, trembla d’un si hardi dessein,
- Au moment périlleux qu’il entra dans son sein.
- C’est là qu’avec grand soin, il faut qu’en son visage
- Tu traces vivement l’ardeur de son courage,
- Qui, dans l’âpre danger, ayant porté ses pas,
- Le fasse reconnaitre au milieu des soldats ;
- Fais-nous voir quand Douai, succombant sous ses armes,
- Thérèse y répandit la douceur de ses charmes,
- Et de ses seuls regards fit naitre mille fleurs,
- Où naguère coulaient et le sang et les pleurs ;
- Quand Lille, se voyant presque réduite en cendre
- Par le feu des assauts, qui la force à se rendre,
- Elle ouvre à son vainqueur ses murs et ses remparts,
- Où gronde et fume encor le fier courroux de Mars ;
- En ce prince elle voit tant de vertus paraitre,
- Qu’elle bénit le ciel de lui donner un maitre,
- Qu’au prix de plus de sang elle aurait dû vouloir,
- Qu’elle n’en a versé pour ne le pas avoir.
- Surtout que ta main prenne un pinceau de lumière
- Pour tracer dignement sa victoire dernière,
- Où, le cœur averti par la secrète voix
- De cet ange qui veille au bonheur des Français,
- Il quitta tout à coup sa conquête nouvelle,
- Et courant sans relâche où la gloire l’appelle,
- II suit les ennemis qui chargeaient nos soldais,
- Lassés et dépourvus du secours de son bras.
- La terreur de son nom, qui devance ses armes,
- Épandit dans les rangs de si vives alarmes,
- Qu’arrivant sur les lieux, il trouva nos guerriers
- Qui tous, à pleines mains, moissonnaient des lauriers.
- Ces lions, à sa vue, animant leur courage,
- Firent des ennemis un si cruel carnage,
- Qu’il connut que son nom, prévenant son grand cœur,
- Dérobait à son bras le titre de vainqueur,
- Et qu’enfin la victoire attendait toute prête
- Qu’il parût à ses yeux pour couronner sa tête.
- Ainsi, quand au matin, les ombres de la nuit
- Combattent les rayons du premier jour qui luit,
- À peine, en arrivant, la belle avant-courrière
- Annonce le retour du dieu de la lumière,
- Qu’on voit de toutes parts les ombres trébucher,
- Où, derrière les monts, s’enfuir et se cacher.
- Cependant, cher Le Brun, sais-tu que cette gloire
- Dont tu le vois paré des mains de la victoire,
- Qui ternit la splendeur des autres demi-dieux,
- Qui, de son vif éclat, éblouit tous les yeux,
- Et fait qu’en le voyant l’âme presque l’adore ;
- Sais-tu que cet éclat n’est encor que l’aurore
- Et le rayon naissant des beaux et des grands jours
- Qu’il fera sur la terre au plus haut de son cours.
- Oui, du dieu que je sers, les plus sacrés augures,
- Par qui l’âme entrevoit dans les choses futures,
- Et les divins accords de nos saintes chansons,
- Ne sont qu’un vain mensonge et d’inutiles sons ;
- Oui, nous allons entrer dans un siècle de gloire,
- Oui couvrira de honte et la fable et l’histoire,
- Qui, fameux et fertile en mille exploits divers,
- Portera sa lumière au bout de l’univers.
- Que je vois de combats et de grandes journées,
- De remparts abattus, de batailles gagnées,
- De triomphes fameux, et de faits tout nouveaux
- Qui doivent exercer tes glorieux pinceaux !
- Alors, sans remonter au siècle d’Alexandre,
- Pour donner à ta main l’essor qu’elle aime à prendre,
- Dans le noble appareil des grands évènements,
- Dans la diversité d’armes, de vêtements,
- De pays, d’animaux, et de peuples étranges,
- Les exploits de Louis, sans qu’en rien tu les changes,
- Et tels que je les vois par le sort arrêtés,
- Fourniront plus encor d’étonnantes beautés ;
- Soit qu’il faille étaler sa guerrière puissance
- Près des murs de Memphis, de Suze et de Byzance ;
- Soit qu’il faille tracer ses triomphes pompeux,
- Où suivent enchainés des tyrans orgueilleux,
- Qui, sur leur triste front, auront l’image empreinte
- D’une sombre fierté qui fléchit sous la crainte,
- Et dont l’affreux regard, de douleur abattu,
- Du glorieux vainqueur publiera la vertu ;
- Où les ours, les lions, les tigres, les panthères,
- Redoutable ornement des terres étrangères,
- Les riches vases d’or et les meubles exquis,
- Marqueront les climats des royaumes conquis.
- Voilà les grands travaux que le ciel te prépare,
- Qui seront de nos jours l’ornement le plus rare,
- Et des siècles futurs le trésor précieux ;
- Puisqu’on sait que le temps, peintre judicieux,
- Qui des maitres communs les tableaux décolore,
- Rendra les tiens plus beaux et plus charmants encore,
- Lorsque de son pinceau secondant ton dessin,
- Il aura, sur leurs traits, mis la dernière main.
- Ce fut ce qu’autrefois un sage et savant maitre
- Aux peintres de son temps sut bien faire connaitre.
- Il sut, par son adresse, en convaincre leurs yeux,
- Et leur en fît ainsi l’emblème ingénieux.
- Il peignit un vieillard dont la barbe chenue
- Tombait à flots épais sur sa poitrine nue ;
- D’un sable diligent son front était chargé,
- Et d’ailes de vautour tout son dos ombragé ;
- Près de lui se voyait une faux argentée,
- Qui faisait peur à voir, mais qu’il avait quittée
- Pour prendre, ainsi qu’un maitre ébauchant un tableau,
- D’une main une éponge, et de l’autre un pinceau.
- Les chefs-d’œuvre fameux, dont la Grèce se vante,
- Les tableaux de Zeuxis, d’Apelle, et de Timante,
- D’autres maitres encor des siècles plus âgés,
- Étaient, avec honneur, à sa droite rangés ;
- À sa gauche gisaient, honteux et méprisables,
- Des peintres ignorants les tableaux innombrables,
- Ouvrages sans esprit, sans vie et sans appas,
- Et qui blessaient la vue, ou ne la touchaient pas.
- Sur les uns le vieillard, à qui tout est possible,
- Passait de son pinceau la trace imperceptible,
- D’une couche légère allait les brunissant,
- Y marquait des beautés, même en les effaçant ;
- Et d’un noir sans égal fortifiant les ombres,
- Les rendaient plus charmants en les rendant plus sombres,
- Leur donnait ce teint brun qui les fait respecter,
- Et qu’un pinceau mortel ne saurait imiter.
- Sur les autres tableaux, d’un mépris incroyable,
- Il passait, sans les voir, l’éponge impitoyable ;
- Et loin de les garder aux siècles à venir,
- Il en effaçait tout jusques au souvenir.
- Mais, Le Brun, si le temps, dans la suite des âges,
- Loin de les effacer embellit tes ouvrages,
- Et si ton art t’élève au comble de l’honneur,
- Sache que de Louis t’est venu ce bonheur ;
- Quand le ciel veut donner un héros à la terre,
- Aimable dans la paix, terrible dans la guerre,
- Dont le nom soit fameux dans la suite des ans,
- Il fait naitre avec lui des hommes excellents,
- Qui sont, par leurs vertus, leur courage et leur zèle,
- Les dignes instruments de sa gloire immortelle ;
- Et qui, pour son amour, l’un de l’autre rivaux ?
- Se suivent à l’envi dans ses rudes travaux ;
- De là nous sont donnés ces vaillants capitaines,
- Qui, semant la terreur dans les belgiques plaines,
- Et courant aux dangers sur les pas de Louis,
- Secondent de leurs bras ses exploits inouïs ;
- De là viennent encore, et prennent leur naissance,
- Ces Nestors de nos jours, dont la rare prudente
- Travaillant sous le prince au bien de ses sujets,
- Exécute avec soin ses glorieux projets.
- De là nous est donné cet homme infatigable,
- Cet homme, d’un labeur à jamais incroyable,
- Qui sans peine remplit les emplois les plus hauts,
- Qui sans peine descend jusqu’aux moindres travaux ;
- Qui, l’esprit éclairé d’une lumière pure,
- Voit tout, agit partout, semblable à la nature,
- Dont l’âme, répandue en ce vaste univers,
- Opère dans les cieux, sur la terre et les mers ;
- Où parait sa sagesse en merveilles fertile ;
- Et dans le même temps, sur le moindre reptile,
- Fait voir tant de travail, que nos regards surpris
- Ne peuvent concevoir les soins qu’elle en a pris.
- Mais le ciel, non content que, du héros qu’il donne,
- Par mille grands exploits la vertu se couronne,
- Produit, en même temps, par ses féconds regards,
- Des hommes merveilleux dans tous les plus beaux arts,
- Afin qu’en cent façons ils célèbrent sa gloire,
- Et que de ses hauts faits, conservant la mémoire,
- Des vertus du héros la brillante clarté,
- Serve encor de lumière à la postérité.
- De là nous sont venus tant de doctes Orphées,
- Qui chantent de Louis les glorieux trophées ;
- Apollon, de ses feux, anime leurs efforts,
- Et leur inspire à tous ces merveilleux accords.
- De là vient que le ciel, au gré de la nature,
- A voulu qu’en nos jours sa charmante peinture
- T’ait mis au premier rang de tous les favoris
- Que dans le cours des ans elle a le plus chéris,
- T’ait donné de son art la science profonde,
- Ait caché dans ton sein cette source féconde
- De traits ingénieux, de nobles fictions,
- Et le fond infini de ses inventions.
- Ainsi donc qu’à jamais ta main laborieuse
- Poursuive de Louis l’histoire glorieuse,
- Sans qu’un autre labeur, ni de moindres tableaux
- Profanent désormais tes illustres pinceaux ;
- Songe que tu lui dois tes traits inimitables,
- Qu’il y va de sa gloire, et qu’enfin tes semblables
- Appartiennent au prince, et lui sont réservés
- Ainsi que les trésors sur ses terres trouvés.
- Et vous, peintres savants, heureux dépositaires
- Des secrets de la nymphe et de ses saints mystères,
- Dont, par votre discours et les traits de vos mains,
- Se répand la lumière au reste des humains ;
- D’hommes tous excellents, sage et docte assemblée,
- Qui les bontés du prince ont de grâces comblée ;
- De ce roi sans égal vous savez les hauts faits,
- Vous voyez devant vous ses superbes palais ;
- Allez, et que partout vos pinceaux se répandent,
- Pour donner à ces lieux les beautés qu’ils demandent ;
- Que là, votre savoir, par mille inventions,
- Parle de ses vertus et de ses actions ;
- Montrez que de votre art la science est divine,
- Et qu’il tire des cieux sa première origine.
- Quelques profanes voix ont dit que le hasard
- Aux premiers des mortels enseigna ce bel art,
- Et que quelques couleurs, bizarrement placées,
- Leur en ont inspiré les premières pensées ;
- Mais qu’ifs sachent qu’Amour, le plus puissant des dieux,
- Le premier aux humains fit ce don précieux ;
- Qu’à sa main libérale en appartient la gloire,
- Et pour n’en plus clouter, qu’ils en sachent l’histoire.
- Dans l’ile de Paphos fut un jeune étranger,
- Qui vivait inconnu, sous l’habit d’un berger ;
- La nature avec joie, et d’un soin favorable,
- Amassant en lui seul tout ce qui rend aimable,
- Avec tant d’agrément avait su le former,
- Que ce fut même chose et le voir et l’aimer.
- Des eaux et des forêts les nymphes les plus fières,
- Sans attendre ses vœux, parlèrent les premières ;
- Mais son cœur, insensible à leurs tendres désirs,
- Loin de les écouter, méprisa leurs soupirs.
- Entre mille beautés, qui rendirent les armes,
- Une jeune bergère eut pour lui mille charmes,
- El de ses doux appas lui captivant le cœur,
- Eut l’extrême plaisir de plaire à son vainqueur ;
- L’aise qu’elle sentit d’aimer et d’être aimée,
- Accrut encor l’ardeur de son âme enflammée.
- Soit que l’astre des cieux vienne allumer le jour,
- Soit que, dans l’Océan, il finisse son tour,
- Il la voit, de l’esprit et des yeux attachée
- Sur le charmant objet dont son âme est touchée ;
- Et la nuit, quand des cieux elle vient s’emparer,
- Sans un mortel effort ne l’en peut séparer.
- Pour la seconde fois, la frileuse hirondelle
- Annonçait le retour de la saison nouvelle,
- Lorsque, de son bonheur le destin envieux
- Voulut que son berger s’éloignât de ces lieux.
- La nuit qui précéda cette absence cruelle,
- Il veut voir sa bergère, et prendre congé d’elle,
- Se plaindre des rigueurs de son malheureux sort,
- Et de ce dur départ, plus cruel que la mort.
- Elle, pâle, abattue, et de larmes baignée,
- Déplore en soupirant sa triste destinée ;
- Et, songeant au plaisir qu’elle goute à le voir,
- Ne voit, dans l’avenir, qu’horreur et désespoir.
- Amour, qui sais ma flamme et les maux que j’endure,
- N’auras-tu point pitié de ma triste aventure ?
- Je ne demande pas la fin de mon tourment ;
- Mais, hélas! donne-moi quelque soulagement.
- Sur l’aile des soupirs sa prière portée,
- Du tout-puissant amour ne fut point rejetée.
- Sur le mur opposé, la lampe, en ce moment,
- Marquait du beau garçon le visage charmant ;
- L’éblouissant rayon de sa vive lumière,
- Serrant de toutes parts l’ombre épaisse et grossière
- Dans le juste contour d’un trait clair et subtil,
- En avait nettement dessiné le profil.
- Surprise, elle aperçoit l’image figurée,
- Et, se sentant alors par l’amour inspirée,
- D’un pinceau, par hasard, sous ses doigts rencontré,
- Sa main, qui suit le trait par la lampe montré,
- Arrête sur le mur, promptement et sans peine,
- Du visage chéri la figure incertaine ;
- L’Amour ingénieux, qui forma ce dessin,
- Fut vu, dans ce moment, lui conduisant la main.
- Sur la face du mur marqué de cette trace,
- Chacun du beau berger connut l’air et la grâce,
- Et l’effet merveilleux de cet évènement
- Fut d’un art si divin l’heureux commencement.
- Par la nymphe aux cent voix la charmante Peinture,
- Instruite du succès d’une telle aventure,
- Vint apprendre aux mortels mille secrets nouveaux,
- Et leur montra si bien comment, dans les tableaux,
- Les diverses couleurs doivent être arrangées,
- Ensuite, au gré du jour, plus ou moins ombragées ;
- Comment il faut toucher les contours et le trait,
- Et tout ce qui peut rendre un ouvrage parfait ;
- Qu’enfin l’art est monté, par l’étude et l’exemple,
- À ce degré suprême où notre œil le contemple,
- Digne de la grandeur du roi que nous servons,
- Digne de la splendeur du siècle où nous vivons.