AVERTISSEMENT
Diverses circonstances ont retardé la publication de ce livre. Je ne crois pas qu’il faille s’en plaindre. Les impressions de voyage, comme les vins, ont quelquefois besoin d’apprendre à vieillir, pour soutenir l’épreuve du temps, de se déposer un peu en nous, de se décanter lentement de la page du carnet ou du journal dans la page du livre. Celles-ci, qui datent de deux ans, en auront eu tout le loisir. Une première vérification leur aura été imposée de la sorte. D’autres leur ont été apportées par des événements inattendus. C’est ainsi qu’on a su qu’au fond de la Nigrérie un outlaw européen, Voulet ou tel autre, avait épousé une sultane targui et était devenu, sous le litham, un aménocal réputé. On rappelle le sultan blanc. Mon hypothèse sur l’origine féodale et templière des targuis s’en est trouvée singulièrement consolidée.
Je n’ai compris que dans le Sud Ernest Psichari, que j’avais vu jouer enfant dans mes landes de Rûn-Rouz avec son frère Michel, quand leurs parents nous rendaient visite avant que les malentendus de la vie publique nous en eussent séparés. Le désert, la solitude sont la clef des grandes âmes. Dieu agit partout, mais nulle part avec cette rigidité, ce despotisme.
Je ne saurais assez remercier mes
compagnons de caravane de leur extrême
amabilité. J’étais le seul homme de lettres,
ignorant comme tous les hommes de lettres égarés parmi ces hautes compétences
scientifiques, et j’ai éprouvé là
combien la science est indulgente à
l’ignorance qui ne cherche pas à s’en
faire accroire et qui se relève par la
curiosité. Je reste plus particulièrement
obligé à M. Désiré Bois, professeur
au Museum et le premier de nos
botanistes, mais si modeste qu’à près de
quatre-vingts ans il n’est pas encore de
l’Institut ; à M. Prudhomme, directeur
du Jardin Colonial de Nogent-sur-Marne,
si vivant, si charmant et avec
qui la science avait toujours figure de
bonne compagnie ; à M. Bussard surtout,
aux mains duquel m’avait confié sa
femme, la grande romancière normande
Marion Gilbert : nous ne nous retrouvions
qu’à l’étape, car nous occupions
des cars différents, et qui se montrait
toujours si empressé, si fraternel.
Enfin, je remercie mon jeune compatriote et ami Charles Chassé d’avoir bien voulu accepter de relire ces épreuves que la maladie me voilait. Paysages lumineux du Sud, dont s’enchantèrent mes derniers soirs et que je n’ai pu revoir sans mélancolie, même dans leur transcription. Peut-être y auraient-ils trop perdu.
Lannion, 25 Janvier 1932.
Ces lignes, vraisemblablement les dernières
de l’auteur, ont été écrites par Charles
Le Goffic quelques jours avant sa mort,
survenue à Lannion le 12 février 1932.