< La Suite de l’Adolescence Clémentine
Les Epistres La Suite de l’Adolescence Clémentine Le Cymetiere


I

Le Chant de l'Amour fugitif, composé par Lucian, Autheur Grec, et translaté de Latin en Francoys par Clement Marot: et ce commence en Latin

Perdiderat Natum Genitrix Cytheroea vagantem.

Advint ung jour, que Venus Cytherée,

Mere pour lors dolente, et esplorée,

Perdit son filz, qui çà, et là volloit:

Et ainsi triste à haste s'en alloit

Par maint Carroy, par maint Canton; et Place

Pour le chercher; puis sus quelcque Terrace,

Ou sus ung Mont eslevé se plantoit,

Et devant tous à haulte voix chantoit

Ce, que s'ensuit. Quiconques de bon vueil

M'enseignera ou au doigt, ou à l'oeil,

En quelle voye, ou devers quel costé

Mon Cupido fuiant s'es transporté,

Pour son loyer (qui faire le sçaura)

Ung franc baiser de Venus il aura.

Et si quelc'un Prisonnier le rameine,

La Mere lors envers luy plus humaine

Luy donnera (pour plus son cueur aiser)

Quelcque aultre don par dessus le baiser.

Toy qui iras, affin que par tous lieux

Ce faulx Garson puisses congnoistre mieulx,

Je te diray vingt enseignes, et taches,

Que finement fault qu'en memoyre caches.

Blancheur aulcune en luy n'est evidente:

Son Corps est tainct de rougeur tresardente,

Ses Yeux perçans, qui de travers regardent,

Incessamment estincellent, et ardent:

Et son penser cauteleux, et frivolle

Jamais ne suit sa doulcette parolle.

Certainement le son de sa faconde

Passe en doulceur le plus doulx Miel du Monde:

Mais le droit sens, et la cause effective

Correspond mal à sa voix deceptive.

Si en colere il se prend à monter,

Il porte ung cueur impossible à dompter:

Et de son Bec il sçait (tout au contraire)

Tromper, seduire, et en ses laz attraire

Les cueurs remplis d'aspre severité,

Sans que jamais confesse verité.

Certes il est Enfant plein de jeunesse,

Mais bien pourveu d'astuce, et de finesse.

Souvent se joue, et faict de l'inscient:

Mais en jouant tasche à bon escient

Faire son cas. Sur son dos oultreplus

Pendent en ordre ungs Cheveulx crespelus:

Et en sa Face, ayant fiere apparence,

Jamais n'y a honte, ne reverence.

Apres il a (si bien vous l'espiez)

Petites Mains, avecques petiz Piedz:

Mais toutesfoys en hault, ou bas endroict

D'ung petit Arc tire fort long, et droict.

Jadis frappa de Flesche, et Vireton,

Jusque aux bas lieux le cruel Roy Pluton:

Et des Enfers les Umbres, et Espritz

Veirent leur Roy d'Amour vaincu, et pris,

Lors que dedans son grand Char Stygieux

Il emmena Proserpine aux beaulx yeux.

Son corps ardant, enflambé de nature

Il a tout nud, sans quelcque couverture,

Mais le cueur cault, et courage qu'il porte,

Se vest de maint, et variable sorte:

Et d'advantage, en soubzlevant en l'Air

Les membres siens, par ung subtil voller

Aux Nymphes va, puis aux hommes descend:

Et quand receu de bon gré il se sent,

Son siege faict plus chault que feu de Pailles

Au plus profond de leurs Cueurs, et Entrailles.

Petit, et court est son arc amoureux:

Mais le sien Traict mortel, et rigoreux

Va de droict fil jusques au Firmament,

Depuis qu'il est descoché fermement.

Sur son Espaule ardente, et colorée

Tu voirras pendre une Trousse dorée,

Et au dedans ses pestiferes Traictz,

Dont le cruel Abuseur plein d'attraictz

A bien souvent faict mainte playe amere,

Mesmes à moy, qui suis sa propre Mere.

Griefve chose est tout ce, que j'ay dit ores,

Mais voyci (las) plus griefve chose encores:

Sa dextre main jecte, et darde ung Brandon,

Qui brusle, et ard sans mercy, ne pardon

Les pauvres Os. Brief, de son Chault extrême

Il brusleroit le bruslant Soleil mesme.

Si tu le peulx donc trouver, et attaindre,

Et de Cordons à fermes nœudz estraindre,

Meine le moye estroictement lié.

Et si vers toy se rend humilié,

N'en prens mercy, quoy que devant toy fasse

Tomber ses yeux larmes dessus sa Face.

Garde toy bien, qu'en ce ne te deçoyves.

Et se ainsi est, que sa Bouche aperçoyves

Rian à toy, bien fault que tu recordes

De n'ordonner, qu'on luy lasche les Cordes.

Si par doulx motz te venoit incitant

A te baiser, va cela evitant:

Car (pour certain) en ses Levres habite

Mortel venin, qui cause mort subite.

Et si de franc, et liberal Visage

Il te promect des Dons à son usage,

C'est assavoir Flesches, et Arc Turquoys,

La Trousse paincte, et le doré Carquoys,

Fuy tous ces dons de nuysance, et reproche:

Ilz vont bruslant tout ce, que d'eulx s'approche.

II

Le Second Chant d'Amour fugitif, de l'invention de Marot

Le propre jour, que Venus aux yeux verts

Parmy le Monde alloit chantant ces Vers,

Desir de veoir, et d'ouir nouveaulté

Me feit courir après sa grand beaulté

Jusque à Paris. Quand fut en plain Carroy

Sus ung hault lieu se mist en bel arroy,

Monstrant en Face avoir cueur assez triste,

Ce neantmoins en Habitz cointe, et miste.

Lors d'une voix plus doulce, et resonnante,

Que d'Orpheus la Harpe bien sonnante,

Chanta les Vers, que dessus desclarons,

Plus hault, et cler, que Trompes, et Clairons:

Dont maintes gens eut alors entour elle.

L'ung y couroit: l'autre en une Tournelle

Mettoit le nez: tous Peuples espanduz

Droit là se sont à la foulle renduz

Pour veoir Venus, et ouyr son parler.

Son cry finy, se feit mener par l'Aer

Dedans son Char avec ses Grâces belles

Soubz le conduict de douze Columbelles:

Ce qui donna grand admiration

Aux regardans de mainte Nation.

Or quand Venus eurent perdu de veue,

De là se part ceste Assemblée esmeue

A grands trouppeaux. L'ung s'en va devisant

De son cher Filz, qu'elle a perdu, disant,

Pleust or à Dieu, qu'en Mer, ou Terre sceusse

Luy enseigner, affin que je receusse

Ung doulx baiser de sa Bouche riant.

Ha Cupido (disoit l'autre en criant)

Si te tenoys lié de Cordons maints,

Croyz, qu'à grand peine istroys hors de mes mains,

Que de ta Mere en beaulté l'oultrepasse

N'eusse le don, qui le baiser surpasse.

Mais quant à moy, n'en eu aulcun desir,

Car qu'ay je affaire aller chercher plaisir,

Qui soit compris en Venus la Deesse,

Veu que en Pallas gist toute ma liesse?

Ainsi me teu; en contemplant la geste

Des gens raviz d'ung tel regard celeste:

Entre lesquelz vey à part une Tourbe

D'hommes pieux, ayant la Teste courbe,

L'oeil vers la Terre en grand Cerimonye,

Pleins (à le veoir) de dueil, et agonie,

Disant à eulx mondanités adverses,

Et en habitz monstrans Sectes diverses.

L'ung en Corbeau se vest pour triste signe:

L'autre s'habille à la façon d'un Cigne:

L'autre s'accoustre ainsi qu'ung Ramoneur:

L'autre tout gris: l'autre grand Sermonneur

Porte sur soy les couleurs d'une Pie

(O bonnes gens) pour bien servir d'Espie.

Que diray plus? Bien loger sans danger,

Dormir sans peur, sans coust boyre, et manger,

Ne faire rien, aulcun mestier n'apprendre,

Riens ne donner, et le bien d'aultruy prendre,

Gras, et puissant, bien nourry, bien vestu,

C'est (selon eulx) pauvreté, et vertu.

Aussi (pour vray) il ne sort de leur Bouche

Que motz succrez: quand au Cueur je n'y touche:

Mais c'est un Peuple à celluy ressemblant,

Que Jan de Mehun appelle Faulxsemblant,

Forgeant abus dessoubz Religion.

Incontinent que ceste Legion

(Selon le cry de Venus) sent, et voyt,

Que Cupido le Dieu d'Amours avoit

Prins sa vollée, ainsi que ung vagabond,

Chascun pensa de luy donner le bond.

Si vont querir Libelles Sophistiques,

Corps enchassez, et Bulles Papistiques,

Et là dessus vouerent tous à Dieu,

Et au Patron de leur Couvent, et Lieu,

De Cupido lyer, prendre, et estraindre,

Et son pouvoir par leurs Oeuvres contraindre,

Plus pour loyer Celeste en recevoir,

Que pour amour, qu'en Dieu puissent avoir.

Voilà, comment par voyes mal directes

Les presumans, oultrecuydées Sectes

Seures se font d'avoir de Dieu la grâce,

Et de garder chose que humaine race

Ne peult de soy. Or se sont ilz espars

De Chrestienté aux quatre Coings, et Pars

Tous en propos de Cupido happer.

Et que ainsi soit, affin que d'eschapper

Ne trouve lieu, ne façon, s'il est pris,

Aulcuns d'iceulx par serment entrepris

Portent sur eulx de Cordes à gros noudz

Pour luy lyer Jambes, Piedz, et Genoulx.

Et sur ce poinct prendra repos ma Muse,

Ne voulant plus qu'à ce propos me amuse:

Ainsi que je pense à dresser aultre compte,

En concluant que cestuy cy racompte,

A qui aura bien compris mon Traicté,

Dont proceda le Veu de Chasteté.

III

Le Chant des Visions de Petranque, translaté de Italien en Françoys

Ung jour estant seulet à la Fenestre

Vy tant de cas nouveaulx devant mes yeux

Que d'en tant veoir fasché me convint estre.

Si m'apparut une Bische à Main dextre

Belle pour plaire au souverain des Dieux.

Chassée estoit de deux Chiens envieux,

Ung Blanc, ung Noir, qui par mortel effort

La gente Beste aux flans mordoient si fort,

Qu'au dernier pas en brief temps l'ont menée

Cheoir soubz ung Roc. Et là la cruaulté

De Mort vainquit une grande beaulté,

Dont souspirer me feit sa destinée.

Puis en Mer haulte ung Navire advisoie,

Qui tout d'Hebene, et blanc Yvoire estoit,

A Voyles d'or, et à Cordes de Soye:

Doulx fut le Vent, la Mer paisible, et coye,

Le Ciel par tout cler se manifestoit.

La belle Nef pour sa charge portoit

Riches Tresors: mais tempeste subite

En troublant L'air, ceste Mer tant irrite,

Que la Nef hurte ung Roc caché soubz l'onde.

O grand fortune, ô crevecueur trop grief,

De veoir perir en ung moment si brief

La grand richesse à nulle aultre seconde.

Après je vy sortir divins Rameaulx

D'ung Laurier jeune en ung nouveau Boscage,

Et me sembla veoir ung des Arbrisseaulx

De Paradis, tant y avoit d'Oyseaulx

Diversement chantans à son Umbrage.

Ces grands delictz ravirent mon courage:

Et ayant d'oeil fiché sur ce Laurier,

Le Ciel entour commence à varier,

Et à noircir: dont la Fouldre grand erre

Vint arracher cestuy Plant bien heureux,

Qui me faict estre à jamais langoreux,

Car plus telle umbre on ne recouvre en Terre.

Au mesmes Boys sourdoit d'ung vif Rocher

Fontaine d'eau murmurant soefvement:

De ce lieu frays, tant excellent, et cher

N'osoient Pasteurs, ne Bouviers approcher,

Mais mainte Muse, et Nymphes seulement,

Qui de leurs voix accordoient doulcement

Au son de l'eau. Là j'assis mon desir:

Et lors que plus je y prenoys de plaisir,

Je vy (helas) de Terre ouvrir ung Gouffre,

Qui la Fontaine, et le lieu devora:

Dont le mien cueur grand regret encor a,

Et y pensant, du seul penser je souffre.

Au Boys je vy ung seul Phenix portant

Aesles de pourpre, et le Chef tout doré:

Estrange estoit, dont pensay en l'instant

Veoir quelcque corps celeste, jusque à tant,

Qu'il vint à l'Arbre en pieces demouré,

Et au Ruisseau, que Terre a devoré.

Que diray plus? Toute chose enfin passe.

Quand ce Phenix vit les Rameaux par place,

Le Tronc rompu, l'eau seiche d'aultre part,

Comme en desdaing, de son Bec c'est feru,

Et des Humains sur l'heure disparu:

Dont de pitié, et d'Amour mon cueur ard.

En fin je vy une Dame si belle,

Qu'en y songeant tousjours je brusle, et tremble:

Entre herbe, et fleurs pensive marchoit elle,

Humble de soy, mais contre Amour rebelle:

Et Blanche Cotte avoit, comme il me semble,

Faincte en tel art, que Neige, et Or ensemble

Sembloient meslez: mais en sus la Ceincture

Couverte estoit d'une grand Nue obscure,

Et au Tallon ung Serpenteau la blesse,

Dont languissoit, comme une fleur cueillie:

Puis asseurée en liesse est saillie.

Las rien ne dure au Monde, que tristesse.

O Chanson mienne, en tes conclusions

Dy hardiment, ces six grands Visions

A Monseigneur donnent ung doulx desir

De briefvement soubz la terre gesir.

IV

Chant nuptial du Mariage de Madame Renée Fille de France, et du Duc de Ferrare

Qui est ce Duc venu nouvellement

En si bel ordre, et riche à l'advantage?

On juge bien à le veoir seulement,

Qu'il est yssu d'excellent Parentage.

N'est ce celluy, qui en florissant aage

Doibt espouser la Princesse Renée?

Elle en sera (ce pensé je) estrenée:

Car les haultzboys l'ont bien chanté anuict,

Et d'ung accord, et tous d'une allenée

Ont appelé la bienheureuse Nuict.

O Nuict, pour vray, si es tu bien cruelle,

Et tes exces nous sont tous apparens:

Tu viens ravir la Royalle Pucelle

Entre les bras de ses propres Parens:

Et qui plus est, tu la livres, et rends

Entre les mains d'ung ardant, et jeune Homme.

Que feirent pis les Ennemis à Romme,

N'a pas long temps par pillage empirée?

Or de rechef; cruelle je te nomme:

Pourquoy es tu doncques Nuict desirée?

Je me desdy, tu n'es point Nuict cruelle,

Tes doulx effectz nous sont tous apparens:

Tu prens d'amour, et de gré la Pucelle

Entre les Mains de ses nobles Parens:

Et qui plus est, deux Cueurs en ung tu rends

En chaste Lict soubs nuptial affaire:

Ce qu'aultre Nuyct jamais n'auroit sceu faire.

Brief, ta puissance est grande, et point ne nuict,

Ce que tu fais, on ne sçauroit deffaire:

O trespuissante, et bienheureuse Nuict.

Fille de Roy, Adieu ton Pucellage:

Et toutesfoys tu n'en doibs faire pleurs,

Car le Pommier, qui porte bon fructage,

Vault mieulx, que cil, qui ne porte que Fleurs.

Roses aussi de diverses couleurs,

S'on ne les cueult, sans proffiter perissent:

Et s'on les cueult, les cueillans les cherissent,

Prisans l'odeur, qui d'elles est tirée.

Si de toy veulx, que fruicts odorans yssent,

Fuir ne fault la Nuict tant desirée.

Et d'aultre part ta Virginité toute

Ne t'appartien. En quatre elle est partie:

La Part premiere elle est au Roy (sans doubte)

L'autre à Madame est par droit departie:

La Sœur du Roy a la tierce Partie:

Toy la quatriesme. Or ilz donnent leurs droitz

A ton Mary: veulx tu combatre à troys,

Troys (pour certain) qui en valent bien huict?

Certes je croy que plustost tu vouldroys,

Que desjà fust la bienheureuse Nuict.

Ta doulce Nuict ne sera point obscure:

Car Phebé lors plus, que Phebus, luira:

Et si Phebé a de te veoir grand cure,

Jusque à ton Lict par les Vitres ira:

Venus aussi la Nuict esclercira,

Et Vesperus, qui sur le Soir s'enflamme:

Hymeneus, qui faict la Fille Femme,

Et chaste Amour aux Nopces preferée

Te fourniront tant d'amoureuse flamme,

Qu'ilz feront Jour de la Nuict desirée.

Vous qui souppez, laissez ces tables grasses.

Le manger peu, vault mieulx pour bien dancer.

Sus, Aulmosniers, dictes vistement Grâces,

Le Mary dict, qu'il se fault avancer.

Le jour luy fasche, on le peult bien penser.

Dames dancez: et que l'on se deporte

(Si m'en croyez) d'escouter à la Porte,

S'il donnera L'assault sur la Minuict.

Chault appetit en telz lieux se transporte:

Dangereuse est la bienheureuse Nuict.

Dancez, ballez, solennizez la Feste

De celle, en qui vostre amour gist si fort.

Las qu'ay je dit? qu'est ce, que j'admoneste?

Ne dancez point, soyez en desconfort.

Elle s'en va: Amour par son effort

Luy faict laisser le lieu de sa naissance,

Parens, Amys, et longue congnoissance,

Pour son Espoux suivre jour, et serée.

O noble Duc pourquoy t'en vas de France,

Ou tu as eu la Nuict tant desirée?

Duchesse (helas) que fais tu? Tu delaisses

Ung peuple entier pour l'amour d'ung seul Prince:

Et au partir en ta place nous laisses

Triste regret, qui noz cueurs mord, et pince.

Or va donc veoir ta Ducalle Province.

Ton peuple jà de dresser se soucie

Arc triumphal, Theâtre, et Facecie

Pour t'acueillir en honneur, et en bruyt.

Bien tost y soit ta Ceincture accourcie

Par une bonne, et bienheureuse Nuict.

V

Chant Royal de la Conception nostre Dame

Dedans Syon au Pays du Judée

Fut un debat honneste suscité

Sur la beaulté des Dames collaudée

Diversement par ceulx de la Cité:

Et sans faveur de Maison, ne de Race

Fut dit, que celle ayant le plus de grâce,

Seroit plus belle. Or sommes hors de peine

(Dit lors quelc'un) car Marie en est pleine,

Pleine en sa Forme, et pleine en ses Espritz.

Que ce Proces doncques plus on ne meine:

Seule merite entre toutes le Pris.

Ceste Sentence à son honneur vuydée

Maintes en mist en grand perplexité,

Qui pour envie, et gloire oultrecuydée

Nouveau debat contre elle ont excité

A leurs honneurs veullent qu'on satisface:

Si ont requis, que chanter on la fasse,

Disant qu'elle a l'Organe mal sereine,

Parquoy n'estoit en vertus souveraine.

Brief, de la voix toutes ont entrepris

La surpasser d'aultant, que la Sereine

Seule merite entre toutes le Pris.

Lors chascune a sa Chanson recordée

D'ung Estomac par froit debilité,

Mais ceste Vierge en voix mieulx accordée

Que Orgues, ne luz, chanta ce beau Dicté:

Brunette suis, mais belle en Cueur, et Face,

Et si en tout toutes aultres j'efface.

Ce bien m'a faict la puissance haultaine

Du Dieu d'aymer, qui de sa Court loingtaine

M'est venu veoir, d'ardante Amour espris.

Doncques (non moy) mais sa bonté certaine

Seule merite entre toutes le Pris.

La voix, qui est de ce corps procedée,

Perça d'Enfer l'orde concavité:

Des neuf Cieulx a la haulteur excedée

Par son Hault ton, plein de suavité:

Qui fut ouy au Monde en toute place:

Mort endormit; Dormantz plus froitz que glace

A resveillez: pauvre Nature humaine

Gisant au Lict se lieve, et se pourmaine

Du grand soulas qu'en ceste voix a pris:

Certainement qui tel bien luy ameine,

Seule merite entre toutes le Pris.

Lors l'Assistance en raison bien fondée

Sur champ conclud (et conclud verité)

Qu'impossible est telle voix redondée

Estre Organe ayant impurité:

Mesmes Envie à la fin s'accorde à ce,

Et refraignit à ce Chant son audace

Mieulx que Pluton sa fureur inhumaine

Au chant d'Orphée en l'infernal Dommaine

Donc Estomachz de froidure surpris,

Quand chanterez, chantez Marie saine

Seule merite entre toutes le Pris.

Envoy

Le divin Verbe est la voix, et alaine,

Qui proceda d'organe non vilaine,

C'est de Marie, où tous biens sont compris

Dont de rechef ce Reffrain je rameine,

Seule merite entre toutes le Pris.

VI

Chant Pastoral, en forme de Ballade à Monsieur le Cardinal de Lorraine, qui ne pouvoit ouyr nouvelles de Michel Huet Parisien son Joueur de Flustes le plus souverain de son temps

N'y pense plus, Prince, n'y pense mye,

Si de Michel n'es ores visité,

Car le Dieu Pan, et Syringue s'Amye

Ce moys d'Avril ont ung pris suscité

Et ont donné sur ung des Montz d'Archade

Au mieulx disant de la Fluste une aulbade

La Fluste d'or, neuf pertuis contenant.

Tytire y court, Mopsus s'y va trainant,

Et Corydon a le chemin apris,

Chascun y va, pour veoir, qui maintenant

Du jeu de Fluste emportera le pris.

Lors ton Michel n'a eu teste endormie,

Ains est couru veoir la solennité

Et a sonné sa Fluste, et Chalemye,

Tout à ton loz, honneur, et dignité.

Incontinent que toute la Brigade

Son Armonie ouyt soubz la Fueillade,

Pan se teut coy merveilles se donnant:

Dont chascun va sa Fluste abandonnant,

Et soubz la sienne à dancer se sont pris,

Disant entre eulx, ce Françoys resonnant

Du jeu de Fluste emportera le Pris.

Pan (en effet) eut la Face blesmie,

Et sur Michel se monstra despité:

Si doubterois, que de peur d'infamie

Du hault du Mont ne l'eust precipité,

Car ung hault Dieu de dueil trop est malade,

Quand un Mortel le surmonte, et degrade.

Mais Pan, qui t'ayme, est assez souvenant,

Qu'ung tel'Ouvrier est propre, et advenant

A toy, qui es recueil des bons Espritz:

Dont reviendra, et en s'en revenant

Du jeu de Fluste emportera le Pris.

Prince Lorrain, par vertu consonnant

A bons subjects, ton Michel bien sonnant

Plus pour l'honneur, qui est en toy compris,

Que pour monstrer, qu'il n'est point aprenant,

Du jeu de Fluste emportera le Pris.

VII

Chant de joye composé la Nuict qu'on sceut les nouvelles de la venue des Enfans de France retournant des Hespaignes

Ilz sont venuz les Enfans desirez,

Loyaulx Françoys, il est temps, qu'on s'appaise.

Pourquoy encor pleurez, et souspirez?

Je l'entends bien, c'est de joye, et grand ayse,

Car Prisonniers (comme eulx) estiez aussi.

O Dieu tout bon, quel Miracle est cecy?

Le Roy voyons, et le Peuple de France

En liberté: et tout par une Enfance,

Qui prisonniere estoit en fortes Mains.

Or en est hors: c'est triple delivrance.

Gloire à Dieu seul, Paix en Terre aux Humains.

Nouvelle Royne (ô que vous demourez)

Sentez vous point de loing nostre mesaise?

Sus Peuple, sus, voz Quantons decorez

De divers jeux. Est il temps qu'on se taise?

De voz Jardins arrachez le Soucy,

Et qu'il n'y ayt gros Canon racourcy,

Qui ceste nuict ne bruie par oultrance

Signifiant, que Guerre avec Souffrance

Part, et s'en va aux Enfers inhumains:

Et puis chantez en commune accordance,

Gloire à Dieu seul, Paix en Terre aux Humains.

Sotz Devineurs voz Livres retirez:

Tousjours faisiez la nouvelle maulvaise:

Mais Dieu a bien voz propos revirez,

Tant que menti avez, ne vous desplaise.

Heureux Baron noble Montmorancy

Ce qu'en as faict (il le fault croyre ainsi)

Est du grand Maistre ouvrage sans doubtance.

Conseil Françoys, [croy] qu'en ceste alliance [quoy]

N'eussent mieulx faict les tressages Rommains:

Ne dictes pas, que c'est vostre puissance.

Gloire à Dieu seul, Paix en Terre aux Humains.

Prince Royal, ma terrestre esperance,

Si le plaisir de ceste delivrance

Voulez peser contre les travaulx maintz,

Droicte sera (ce croy je) la Balance.

Gloire à Dieu seul, Paix en Terre aux Humains.

VIII

Chant Royal Chrestien

Qui ayme Dieu, son Regne, et son Empire,

Rien desirer ne doibt, qu'à son honneur,

Et toutesfois l'Homme tousjours aspire

A son bien propre, à son aise, et bon heur,

Sans adviser si point contemne, ou blesse

(En ses desirs) la divine Noblesse.

La plus grand Part appete grand avoir:

La moindre Part soubhaicte grand sçavoir:

L'autre desire estre exempte de blasme:

Et l'autre quiert (voulant mieulx se pourvoir)

Santé au Corps, et Paradis à l'Ame.

Ces deux soubhaictz contraires on peult dire,

Comme la Blanche, et la Noire couleur:

Car Jesuchrist ne promect par son Dire

Cà bas aux siens, qu'Ennuy, Peine, et Douleur

Et d'aultre part (respondez moy) qui est ce,

Qui sans mourir aux Cieulx aura liesse?

Nul pour certain. Or fault il concepvoir,

Que Mort ne peult si bien nous decepvoir,

Que de douleur ne sentions quelcque dragme.

Par ainsi semble impossible d'avoir

Santé au Corps, et Paradis à l'Ame.

Doulce Santé mainte amertume attire:

Et peine au Corps, est à l'Ame doulceur:

Les Bienheureux, qui ont souffert martire,

De ce nous font tesmoignage tout seur.

Et si l'Homme est quelcque temps sans destresse,

Sa propre Chair sera de luy Maistresse,

Et destruira son Ame (à dire veoir)

Si quelcque ennuy ne vient ramentevoir

Le pauvre Humain d'invoquer Dieu, qui l'ame,

En luy disant: Homme, penses tu veoir

Santé au Corps, et Paradis à l'Ame?

O doncques, Homme, en qui santé empire,

Croy, que ton mal d'ung plus grand est vainqueur.

Si tu sentoys de tous tes maulx le pire,

Tu sentiroys Enfer dedans ton cueur.

Mais Dieu tout bon sentir (sans plus) te laisse

Tes petitz maulx, sachant que ta foiblesse

Ne pourroit pas ton grand mal percevoir,

Et que aussi tost que de l'appercevoir

Tu perirois comme Paille en la flame,

Sans nul espoir de jamais recepvoir

Santé au Corps, et Paradis à l'Ame.

Certes plustost ung bon Pere desire

Son Filz blessé, que Meudrier, ou Jureur

Mesmes de verge il le blesse, et dessire,

Affin qu'il n'entre en si lourde fureur:

Aussi quand Dieu Pere celeste oppresse

Ses chers Enfans, sa grand bonté expresse

Faict lors sur eulx eaue de grâce pleuvoir,

Car par tel peine à leur bien veult prevoir

A ce qu'Enfer en fin ne les enflame,

Leur reservant (oultre l'Humain debvoir)

Santé au Corps, et Paradis à l'Ame.

Prince Royal, quand Dieu par son pouvoir

Faira les Cieulx, et la Terre mouvoir,

Et que les Corps sortiront de la Lame,

Nous aurons tous ce bien, c'est assavoir

Santé au Corps, et Paradis à l'Ame.

IX

Chant Royal dont le Roy Bailla le Refrain

Prenant repos dessoubz ung vert Laurier,

Apres travail de noble Poësie,

Ung nouveau songe assez plaisant l'autrehier,

Se presenta devant ma fantasie

De quatre Amans fors melencolieux,

Qui devers moy vindrent par divers lieux:

Car le premier sortir d'ung Boys j'advise:

L'autre d'ung Roc: celluy d'apres ne vise

Par où il va: L'aultre saulte une Claye:

Et si portoient (tous quatre) en leur Devise,

Desbender l'Arc ne guerist point la Playe.

Le Premier vint tout pasle me prier

De luy donner confort par courtoysie.

Poursuivant, suis (dit il) dont le crier

N'est point ouy d'une, que j'ay choysie.

Elle a tiré de l'Arc de ses doulx yeux

Le perçant Traict, qui me rend soucieux,

Me respondant (quand de moy est requise)

Que n'en peult mais, et sa beaulté exquise

De moy s'absente, affin qu'en oubly l'aye:

Mais pour absence en oubly n'est pas mise:

Desbender l'Arc ne guerist point la Playe.

L'autre disoit au rebours du Premier,

J'ay biens assez, et ne me ressasie:

Car Servant suis de jouir coustumier

De la plus belle et d'Europe, et d'Asie.

Ce neantmoins Amour trop furieux

D'elle me faict estre plus curieux,

Qu'avant avoir la jouyssance prise,

Ainsi je suis du feu la flamme esprise,

Qui plus fort croist, quand estaindre on l'essaye,

Et congnoys bien, qu'en amoureuse emprise

Desbender l'Arc ne guerist point la Playe.

Apres je vy d'aymer ung vieil Routier,

Qui de grand cueur soubz puissance moysie

Chanta d'Amours ung couplet tout entier,

Louant sa Dame, et blasmant Jalousie:

Dont les premiers ne furent envieux:

Bien luy ont dit, Vieil Homme entre les Vieulx,

Comment seroit ta pensée surprise

D'aulcun amour, quand le temps, qui tout brise,

T'a desnué de ta puissance gaye?

J'ay bon vouloir (respond la Teste grise)

Desbender l'Arc ne guerist point la Playe

D'ung Rocher creux saillit tout au dernier

Une Ame estant de son Corps dessaisie,

Qui ne vouloit de Charon Nautonnier

Passer le Fleuve. O quelle frenesie!

Aller ne veult aux Champs delicieux,

Ains veult attendre au grand Port Stigieux

L'Ame de celle, où s'amour est assise,

Sans du venir sçavoir l'heure precise

Lors m'esveillay, tenant pour chose vraye,

Que, puis qu'amour suit la Personne occise,

Desbender l'Arc ne guerist point la Playe.

Prince, l'Amour ung Querant tyrannise:

Le Jouissant cuide estaindre, et attise:

Le Vieil tient bon: et du Mort je m'esmaye.

Jugez, lequel dit le mieulx sans faintise,

Desbender l'Arc ne guerist point la Playe.

X

Chant Nuptial du Roy d'Escoce, et de Madame Magdelene Première Fille de France

Celluy matin, que d'habit nuptial

Le Roy d'Escoce ornoit sa beaulté blonde,

Pour espouser du sceptre Lilial

La Fille aisnée, où tant de grâce abonde,

Vous eussiez veu de Peuples ung grand Monde,

Qui de sa Chambre au sortir l'attendoient,

Et çà, et là mille autres à la ronde,

Qui à la file avec eux se rendoient.

Tandis les Mains des Nobles gracieuses

De pied en cap richement l'ont vestu:

Son Corps luisoit de Pierres precieuses,

Moins toutesfoys, que son cueur de Vertu:

De Musq d'eslite avec Ambre batu

Parfumé ont son vestement propice:

Puis luy ont ceint son fort Glaive pointu,

Dont il sçait faire et la Guerre, et Justice.

Ainsy en poinct de sa Chambre depart

Pour s'en aller rencontrer Magdelene:

De beaulté d'homme avoit plus grande part,

Que le Troyen qui fut espris d'Helene:

Si qu'au sortir sa beaulté souveraine

Les regardans resjouist tout ainsi,

Que le Soleil, quand à l'Aulbe seraine

Sort d'Orient pour se monstrer icy.

Vien, Prince, Vien: la Fille au Roy de France

Veult estre tienne, et ton Amour poursuyt:

Pour toy s'est mise en Royalle ordonnance,

Au Temple va, grand Noblesse la suyt:

Maint Dyamant sur la teste reluit

De la Brunette: et ainsi atournée

Son tainct pour vray semble une clere Nuict,

Quand elle est bien d'Estoilles couronnée

Brunette elle est: mais pourtant elle est belle,

Et te peult suivre en tous lieux, où iras,

En chaste Amour. Danger fier, et rebelle

N'y a que voir. D'elle tu jouyras:

Mais s'il te plaist, demain tu nous diras,

Lequel des deux t'a le plus grief esté

Ou la longueur du Jour, que desiras,

Ou de la Nuict la grand briefveté.

La Fille du plus grand Roy du Monde

Elle est à toy L'Eternel tout puissant,

Avant le Ciel, avant la Terre, et l'Onde,

Te destina d'elle estre jouissant,

Affin que d'elle, et de toy soit yssant

Immortel nœud d'amytié indicible

Entre le Sceptre Escossois florissant,

Et le Françoys par aultres invincible.

Fille de Roy mes propos adresser

A toy je veulx: escoute moy donc ores.

Je t'adverty, qu'il te convient laisser

Freres, et Sœur, Pere, et Pays encores

Pour suivre cil, que celluy Dieu, qu'adores,

Par sa Parolle a joinct avecques toy,

Te commandant, que l'aymes, et l'honores

Tu le sçay bien, mais je le ramentoy

Or suy le donc: jà te sont preparez

Cent mil honneurs là, où fault que tu voises

D'Escosse sont tous ennuys separez,

Trompes, Clerons y menent doulces noises:

Mesmes là bas les Nymphes Escossoises

Avec grand joye attendent ton venir,

Et vont disant, qu'elles seront Françoyses

Pour le grand bien, qui leur doibt advenir.

Va doncques. Non, ne vueilles nous priver

Encor si tost de ta noble presence:

Attens ung peu, laisse passer l'Yver,

Car assez tost sentirons ton absence.

Vent contre Vent se bat par insolence,

Printemps viendra, qui les fera ranger:

Lors passera la Mer sans violence,

Et ne craindrons, que tu soy en danger.

Et si voirras des Dieux de mainte forme:

Comme Egeon monté sur la Balaine.

Doris y est, Protheus s'i transforme,

Triton sa Trompe y sonne à forte alaine.

Au fons de l'eau sont ores sur l'Araine:

Mais si attens le Printemps, ou l'Esté,

Tous sortiront hors de la Mer seraine

Pour saluer ta Haulte Majesté.

Sur le beau Temps ainsi tu partiras,

Et en ton lieu regretz demoureront:

A Dieu dirons, à Dieu tu nous diras,

Dont te doulx yeux sur l'heure pleureront:

Mais en chemin ce Larmes secheront

Au noveau feu d'Amour bien establie:

Nos cueurs pourtant point ne s'en fascheront,

Pourveu que point le tien ne nous oublie.

Si prions Dieu, noble Royne d'Escosse,

Qu'au Temps nouveau vienne ung nouveau danger:

C'est qu'il te faille icy demourer grosse,

Pour si à coup de nous ne t'estranger.

A ce propos bien te doibs alleger,

Car pour Parens; qu'icy tu abandonnes,

Enfans auras, Enfans pour abreger,

Qui porteront et Sceptre, et Couronnes.

XI

Cantique à la Deesse Santé, pour le Roy malade

Doulce Santé de langueur ennemye,

De Jeux, de Rys, de tous Plaisirs amye,

Gentil resveil de la force endormie,

Doulce Santé,

Soit à ton los mon Cantique chanté,

Car par toy est l'Aise doulx enfanté:

Par toy la Vie en Corps aggravanté

Est restaurée.

Tu es des Vieulx, et Jeunes adorée,

Richesse n'est, tant que toy, desirée:

De rien, fors toy, la Personne empirée

Ne se souvient.

Et aussi tost que ta presence vient,

Palleur s'enfuit, couleur vive revient:

Mesmes la Mort fuir du lieu convient,

Où tu arrives.

Les vieilles gens tu rends fortes, et vives:

Les jeunes gens tu fais recreatives,

A Chasse, à Vol, à Tournoys ententives,

Et Esbatz mainctz.

O doulx Repos, nourrice des Humains,

Bien doibt chascun te invocquer joinctes Mains,

Veu que sans toy les ennuys inhumains

Nous precipitent.

Veu que sans toy en la Terre n'habitent

Les Dieux rians, qui à plaisir invitent:

Ains tous faschez s'en vont, et se despitent,

Si tu n'y viens.

Vien donc icy, ô source de tous biens,

Vien veoir Françoys le bien aymé des siens,

Vien, fusses tu aux Champs Elisiens,

Ou sur les Nuës.

Tu recevras cent mille bien venues

Des Princes haultz, et des Tourbes menues,

Qui sont du bras de Françoys soustenues

Roy couronné.

Las au besoing tu l'as abandonné,

Et s'est mon cueur maintesfois estonné,

Comment d'un corps de grâces tant orné

Tu t'es bougée.

Ou peulx tu estre ailleurs si bien logée?

Revien secours de Nature affligée:

Si te sera toute France obligée

Moult grandement.

Puis d'ung tel Roy (apres l'amendement)

Tu recevras les grâces meritoires,

Et auras par à l'honneur mesmement

De ses futurs Triumphes, et Victoires.

XII

Chant de May

En ce beau Moys delicieux

Arbres, Fleurs, et Agriculture,

Qui durant l'Yver soucieux,

Avez esté en Sepulture,

Sortez, pour servir de pasture

Aux Trouppeaulx du plus grand Pasteur:

Chacun de vous en sa nature

Louez le nom du Createur.

Les Servans d'Amour furieux

Parlent de l'Amour vaine, et dure:

O vous vrays Amans curieux

Parlez de l'Amour sans laydure:

Allez aux Champs sur la Verdure

Ouyr l'Oyseau parfaict Chanteur:

Mais du plaisir, si peu qu'il dure,

Louez le nom du Createur.

Quant vous verrez rire les cieulx

Et la terre en sa floriture,

Quant vous verrez devant voz yeux

Les eaux luy bailler nourriture,

Sur peine de grant forfaicture

Et d'estre larron et menteur,

N'en louez nulle creature,

Louez le nom du Createur.

Prince pensez, veu la facture,

Combien puissant est le Facteur:

Et vous aussi mon Escripture

Louez le nom du Createur.

XIII

Chant de May, et de Vertu

Voulentiers en ce Moys icy,

La Terre mue, et renouvelle:

Maintz Amoureux en sont ainsi,

Subjectz à faire Amour nouvelle

Par legiereté de Cervelle,

Ou pour estre ailleurs plus contentz:

Ma façon d'Aymer n'est pas telle,

Mes Amours durent en tout temps.

N'y a si belle Dame aussi,

De qui la beaulté ne chancelle:

Par Temps, Maladie, ou Soucy

Laydeur les tire en sa Nasselle:

Mais rien ne peult enlaydir celle,

Que servir sans fin je pretendz:

Et pource qu'elle est tousjours belle,

Mes Amours durent en tout temps.

Celle, dont je dis tout cecy,

C'est Vertu la Nymphe eternelle,

Qui au Mont d'Honneur esclercy

Tous les vrays Amoureux appelle:

Venez Amantz, venez (dit elle)

Venez à moy, je vous attendz.

Venez (ce dit la Jouvencelle)

Mes Amours durent en tout temps.

Prince fais Amye immortelle,

Et à la bien aymer entens:

Lors pourras dire sans cautelle,

Mes Amours durent en tout temps.

XIV

Chant de folie, de l'origine de Villemanoche

Les Pichelins par le Monde espanduz,

Sont de si hault, et si loing descenduz,

Qu'à peine a l'on sceu trouver la Racine,

Ne ung Rameau de si brave Origine:

Mais Dieu voulant, qu'ilz ne fussent periz,

A esveillé les joyeulx Esperitz

De l'ung d'entre eulx, nommé Villemanoche:

Qui tout ainsi que l'on rompt une Roche,

Pour trouver l'eau, qui dessoubz est cachée,

Ainsi il a sa race tant cherchée;

En se rompant Entendement, et Corps,

Qu'il l'a trouvée en Livres tous d'accords

Livres, mais quelz? Livres tresautentiques,

Vieulx, et usez de force d'estre Antiques,

Lesquelz il a à grand peine trouvez,

Leuz, et releuz, volvez, et revolvez:

Si vieulx (de faict) les a voulu eslire,

Que nul, fors luy, oncques n'y sceut rien lire.

Il a trouvé ses grands Predecesseurs

Preux, et hardys, comme leurs Successeurs:

Dont l'une part reside en Germanie,

Et la pluspart plusieurs Regnes manie.

Il a trouvé à force de chercher,

Que ses Parens sceurent si bien prescher,

Non pas prescher, mais si bien harenguerent,

Qu'a nostre loy Infideles rengerent.

Et de ceulx là on veoit par consequence

Villemanoche avoir leur eloquence:

Car luy estant vestu de longue Togue

Sçait haranguer tout seul en Dyalogue:

Et s'il avoit la Robbe courte prise,

Lors, on voirroit qu'il seroit d'entreprise,

Et qu'il seroit semblable de prouesse

A ses Ayeulx, comme il est de sagesse.

Or est ainsi (helas) qu'il nous appert,

Que par deçà ceste Race se pert,

Si cestuy ci n'est joinct par mariage

En noble lieu: qui seroit grand dommage.

O Pichelin tu desserz, qu'on t'allie

En lieu Royal. O superbe Italie

Tu es enflée au nom des Crivelins,

Mais Gaule s'enfle au nom des Pichelins.

Vive (dis tu) la Case Criveline,

Mais en tous lieux vive la Picheline.

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