LE CONCILE FÉERIQUE
Le Monsieur.
La Dame.
Le Chœur.
Un Écho.
Oh ! quelle nuit d’étoiles ! quelles saturnales !
Oh ! mais des galas inconnus
Dans les annales
Sidérales !
Bref, un ciel absolument nu.
Ô Loi du rythme sans appel,
Le moindre astre te certifie,
Par son humble chorégraphie !
Mais, nul Spectateur éternel…
Ah ! la terre humanitaire
N’en est pas moins terre-à-terre !
Au contraire.
La terre, elle est ronde
Comme un pot-au-feu ;
C’est un bien pauv’ monde
Dans l’infini bleu.
Cinq sens seulement, cinq ressorts pour nos essors,
Ah ! ce n’est pas un sort !
Quand donc nos cœurs s’en iront-ils en huit ressorts ?
Oh, le jour ! quelle turne…
J’en suis tout taciturne.
Oh, ces nuits sur les toits !
Je finirai bien par y prendre le froid…
Tiens, la Terre,
Va te faire
Très lan laire.
Hé ! pas choisi
D’y naître, et hommes ;
Mais nous y sommes,
Tenons-nous-y !
Ecoutez mes enfants ! — « Ah ! mourir ! mais me tordre,
« Dans l’orbe d’un exécutant de premier ordre ! »
Rêve la Terre, sous la vessie de saindoux
De la lune laissant fuir un air par trop doux,
Vers les zéniths de brasiers de la voie lactée
(Autrement beaux, ce soir, que des lois constatées !)
Juillet a dégainé ! Touristes des beaux yeux,
Quels jubés de bonheur échafaudent ces cieux,
Semis de pollens d’étoiles, manne divine,
Qu’éparpille le Bon Pasteur à ses gallines…
Et puis le vent s’est tant surmené l’autre nuit…
Et demain est si loin…
Et ça souffre aujourd’hui.
Ah ! pourrir !
Et la lune même (cette amie)
Salive et larmoie en purulente ophtalmie.
Et voici que des bleus sous bois ont miaulé
Les mille nymphes ; et (qu’est-ce que vous voulez)
Aussitôt mille touristes des yeux las rôdent,
Tremblants mais le cœur harnaché d’âpres méthodes !
Et l’on va. Et les uns connaissent des sentiers,
Qu’embaument de trois mois des fleurs d’abricotiers ;
Et les autres, des parcs où la petite flûte
De l’oiseau bleu promet de si frêles rechutes ;
Oh ! ces lunaires oiseaux bleus dont la chanson
Lunaire saura bien vous donner le frisson…
Et d’autres, les terrasses pâles où le triste
Cor des paons réveillés fait que plus rien n’existe !
Et d’autres, les joncs des mares où le sanglot
Des reinettes vous tire maint sens mal éclos ;
Et d’autres, les près brûlés où l’on rampe ; et d’autres
La Boue ! où, semble-t-il, tout, avec nous se vautre !
Les capitales échauffantes, même au frais
Des grands hôtels tendus de pâles cuirs gaufrés,
Faussent ; ah ! mais ailleurs, aux grandes routes,
Au coin d’un bois mal famé,
Et celles dont le cœur gante six et demi,
Et celles dont l’âme est gris perle,
Et d’un port panaché d’édénique opulence,
Vous brûlent leurs vaisseaux mondains vers des Enfances !
Oh ! t’enchanter un peu la muqueuse du cœur !
Ah ! vas-y ; je n’ai plus rien à perdre à cet’heur’ ;
La Terre est en plein air, et ma vie est gâchée ;
Ne songe qu’à la Nuit, je ne suis point fâchée.
Et la Vie et la Nuit font patte de velours.
Se dépècent d’abord de grands quartiers d’amour :
Et lors, les chars de foin plein de bluets dévalent
Par les vallons des moissons équinoxiales…
Ô lointains balafrés de bleuâtres éclairs
De chaleur ! puis ils regrimperont, tous leurs nerfs
Tressés, vers l’hostie de la lune syrupeuse…
Hélas ! tout ça, c’est des histoires de muqueuses.
Détraqué, dites-vous ? Ah ! par rapport à quoi ?
D’accord ; mais le spleen vient, qui dit que l’on déchoit
Hors des fidélités noblement circonscrites.
Mais le divin, chez nous, confond si bien les rites !
Soit, mais mon spleen dit vrai. Ô langes des pudeurs
C’est bien dans vos blancs plis tels quels qu’est le bonheur.
Mais, au nom de Tout ! on ne peut pas ! la Nature
Nous rue à dénouer, dès janvier, leurs ceintures !
Bon ; si le spleen t’en dit, saccage universel !
Vos êtres ont un sexe, et sont trop usuels,
Saccagez !
Ah ! saignons, tandis qu’elles déballent
Leurs serres de beauté, pétale par pétale !…
Les vignes de vos nerfs bourdonnent d’alcools noirs,
Enfants ! ensanglantez la terre, ce pressoir
Sans planteur de justice !
Que la mort ne nous ait qu’ivres-morts de nous-mêmes !
La femme, mûre ou jeune fille,
J’en ai frôlé toutes les sortes,
Des faciles, des difficiles,
C’est leur mot d’ordre que j’apporte !
Des fleurs de chair, bien ou mal mises,
Des airs fiers ou seuls, selon l’heure ;
Nul cri sur elles n’a de prise ;
Nous les aimons, elle demeure.
Rien ne les tient, rien ne les fâche ;
Elles veulent qu’on les trouve belles,
Qu’on le leur râle et leur rabâche,
Et qu’on les use comme telles.
Sans souci de serments, de bagues,
Suçons le peu qu’elles nous donnent ;
Notre respect peut être vague :
Les yeux sont haut et monotones.
Cueillons sans espoir et sans drame ;
La chair vieillit après les roses ;
Ah ! parcourons le plus de gammes !
Vrai, il n’y a pas autre chose.
Si mon air vous dit quelque chose,
Vous auriez tort de vous gêner ;
Je ne la fais pas à la pose,
Je suis la Femme, on me connaît.
Bandeaux plats ou crinière folle ?
Dites ? quel front vous rendrait fous ?
J’ai l’art de toutes les écoles,
J’ai des âmes pour tous les goûts.
Cueillez la fleur de mes visages,
Sucez ma bouche et non ma voix,
Et n’en cherchez pas davantage,
Nul n’y vit clair, pas même moi.
Nos armes ne sont pas égales,
Pour que je vous tende la main :
Vous n’êtes que de braves mâles,
Je suis l’Éternel Féminin !…
Mon but se perd dans les étoiles !…
C’est moi qui suis la grande Isis !…
Nul ne m’a retroussé mon voile !…
Ne songez qu’âmes oasis.
Si mon air vous dit quelque chose,
Vous auriez tort de vous gêner ;
Je ne la fais pas à la pose ;
Je suis la Femme ! on me connait.
Touchant accord !
Joli motif
Décoratif,
Avant la mort !
Lui, nerveux,
Qui se penche
Vers sa compagne aux larges hanches,
Aux longs caressables cheveux.
Car, l’on a beau baver les plus fières salives,
Leurs yeux sont tout ! Ils rêvent d’aumônes furtives !
Ô chairs d’humains, ciboire de bonheur ! on peut
Blaguer, la paire est là, comme un et un font deux.
— Mais, ces yeux, plus on va, se fardent de mystère !
— Eh bien, travaillez à les ramener sur terre !
— Ah ! la chasteté n’est en fleur qu’en souvenir !
— Mais ceux qui l’ont cueillie en renaissent martyrs !
Martyres mutuels ! de frère à sœur sans père !
Comment ne voit-on pas que c’est là notre Terre ?
Et qu’il n’y a que ça ! que le reste est impôts
Dont vous n’avez pas même à chercher l’à-propos !
Il faut répéter ces choses ! Il faut qu’on tette
Ces choses ! Jusqu’à ce que la Terre se mette,
Voyant enfin que tout vivote sans témoin,
À vivre aussi pour elle, et dans son petit coin !
La pauvre Terre elle est si bonne !…
Oh ! désormais, je m’y cramponne.
De tous nos bonheurs d’autochtones !
Tu te pâmes, moi je m’y vautre !
Consolez-vous les uns les autres.