< Page:Œuvres de Blaise Pascal, III.djvu
Cette page n’a pas encore été corrigée

DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR 133

Un amour ferme et solide commence tousjour& par l'éloquence d'action ; les yeux y ont la meilleure part. Neantmoins il faut deviner, mais bien devi- ner.

Quand deux personnes sont de mesme sentiment, ils ne devinent point, ou du moins il y en a une qui ' devine ce que veut dire l'autre sans que cet autre l'entende ou qu'il ose l'entendre.

Quand nous aymons, nous paroissons à nous mesmes tout autres que nous n'estions auparavant. Ainsi nous nous imaginons que tout le monde s'en aperceoit; cependant il n'y a rien de si faux. Mais parce que la raison a sa veuë bornée par la passion, l'on ne peut s'asseurer, et l'on est tousjours dans la défiance.

Quand l'on ayme, on se persuade que l'on decou- vriroit la passion d'un autre : ainsy l'on a peur.

Tant plus le chemin est long dans l'amour, tant plus un esprit délicat sent de plaisir ^

Il y a de certains esprits à qui il faut donner long temps des espérances, et ce sont les délicats. Il y en a d'autres qui ne peuvent pas résister longtemps aux difïicultez, et ce sont les plus grossiers. Les pre- miers ayment plus long temps et avec plus d'agré- ment; les autres ayment plus vite, avec plus de liberté, et finissent bien tost.

��1. G : entend.

2. Cette réflexion pourrait être l'épigraphe des interminables ro- mans du temps, comme ceux de Mlle de Scudéry, et elle en explique le succès.

�� �

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.