DISCOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR 13o
Je suis de Fadvis de celuy qui disoit que dans l'amour on oublioit sa fortune, ses parents et ses amis: les grandes amitiez ^ vont jusques là. Ce qui fait que l'on va si loin dans l'amour, c'est ^ qu'on ne songe pas que l'on^ aura besoin d'autre chose que de ce que l'on ayme : l'esprit est plain ; il n'y a plus de place pour le soin ny pour l'inquiétude. La passion ne peut pas * estre belle sans cet excez ; de là vient qu'on ne se soucie ^ pas de ce que dit le monde que l'on sçayt desja ne devoir pas condamner nostre conduitte, puisqu'elle vient de la raison. Il y a une plénitude de passion, il ne peut pas y avoir un com- mencement de reflection.
Ce n'est point un effect de la coutume, c'est une obligation de la nature, que les hommes fassent les avances pour gagner l'amitié^ d'une dame.
Cet oubly que cause l'amour, et cet attachement à ce que l'on ayme, fait naistre des qualitez que l'on n'avoit point auparavant. L'on devient magnifique, sans jamais l'avoir esté^ Un avaricieux mesme, qui
��1. M. Huguet (Petit Glossaire des Ecrivains français du dix-septieme siècle, 1907, p. i3) rappelle la remarque du Dictionnaire de l'Aca- démie : « Amitié quelqxiefois se dit pour amour «, et cite ce passage à l'appui. On lira avec intérêt la petite dissertation que M. Faguet a écrite sur ce passage dans la Revue latine du 2 5 décembre 1907, p. 732-786. Voir aussi la réponse de M. Giraud (ibid., 25 janvier 1908, p. 6i-64).
2. G : qu'on.
3. G : aura.
4. G donne simplement ces mots : estre sans excez.
5. G : plus.
6. G : des dames.
7. G: sans l'avoir jamais esté.
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