== SECONDE PROVINCIALE 163 ==
dis-je, que tous ont assez de 1 grace, et que tous n’en
ont pas assez : C’est à dire que cette grace suffît,
quoy qu’elle ne suffise pas : C’est à dire qu’elle est
suffisante de nom et insuffisante en effet. En bonne
foy, mon Pere, cette doctrine est bien subtile.
Avez- vous oublié en quittant le monde, ce que le
mot de suffisant y signifie ? Ne vous souvient-il pas
qu’il enferme tout ce qui est necessaire pour agir ?
Mais vous n’en avez pas perdu la memoire : car
pour me servir d’une comparaison qui vous sera
plus sensible, si l’on ne vous servoit à Misner que
deux onces de pain et un verre d’eau 3 , seriez-vous
content de vostre Prieur, qui vous diroit que cela
seroit suffisant pour vous nourrir, sous pretexte
qu’avec autre chose qu’il ne vous donneroit pas,
vous auriez tout ce qui vous seroit necessaire pour
4 bien disner? Comment donc vous laissez vous aller 5
à dire, que tous les hommes ont la grace suffisante
pour agir ; puisque vous confessez qu’il y en a 6 un
autre absolument necessaire pour agir que tous n’ont
pas. Est-ce que cette creance est peu importante, et
que vous abandonnez à la liberté des hommes de
croire que la grace efficace est necessaire ou non ?
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1. P. [graces], faute d’impression manifeste.
2. A 2 B. [table].
3. A 2 B. [par jour].
4. A 2 B. [vous nourrir?].
5. W. Cur igitur ignavo in Jesuitas obsequio...
6. P’A 2 . [une]; A 1 , [un’].... — Au XVIIe siècle un autre se rapportait aussi bien aux noms féminins qu’aux noms masculins (cf. Haase, Syntaxe Française du 17e siècle, p. 119 et Corneille, édition Marty-Laveaux, lexique, p. 66-68).