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Aussi rien ne serait plus déraisonnable que de vouloir enfermer la société dans les limites de la raison. Ce serait troubler le monde, et ce serait mal juger de tout. Ce qui importe à la société, c’est la paix ; les coutumes enraci nées dans le peuple ont le mérite d’assurer la paix 1. L’usage qui désigne les gouvernants par la naissance et les distingue par le costume, est assurément ridicule ; mais ce qui est plus ridicule, c’est de ne pas comprendre à quel point cet usage est bienfaisant. L’imagination seule fait que les uns se regardent et sont regardés comme nobles, les autres comme légitimes possesseurs du sol ; mais il est pourtant nécessaire qu’il y ait des souverains et des riches, si vous supprimez l’imagination sans pouvoir suppri mer la nécessité, vous n’avez porté aucun remède à Fin justice qui vous choque, vous avez simplement rendu impossible l’existence de la société. La paix est le bien essentiel ; la croyance du peuple qui s’incline devant les grands, parce que dans son imagination ils sont supé rieurs à lui, est une folie aux yeux de ces demi-habiles qui font les entendus ; mais grâce à cette folie, l’ordre établi est l’objet d’un respect universel ; cette prétendue folie est la sagesse même pour ceux qui ont pénétré la nature vraie et les conditions vraies des sociétés hu maines. Il faut savoir ne pas être dupe de la raison, ne pas sacrifier à l’abstraction, incapable de se traduire dans les faits, ce qui est la réalité essentielle : la paix entre les hommes. Le peuple qui vit sait ce que c’est que la vie en commun, et il faut vivre avec le peuple, mettre tout le monde d’accord en distinguant les hommes parles qualités extérieures, qui sont visibles à tous, par les dignités et par


i. Fr. 313 sqq.

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