< Page:Œuvres de Blaise Pascal, XII.djvu
Cette page n’a pas encore été corrigée

philosophie rationnelle, alors même qu’il lui emprunte ses formules. Rien n’est significatif à cet égard comme les admirables fragments du chapitre dont Pascal nous révèle ainsi l’intention : « Membres, commencer par là : Pour régler l’amour qu’on se doit à soi-même, il faut s’imaginer un corps plein de membres pensants, car nous sommes membres du tout, et voir comment chaque membre devrait s’aimer, etc. * » Que l’on suive cette analogie dans l’ordre de la raison, comme l’a fait le naturalisme stoïcien ou le spiritualisme spinoziste, on aboutit à un panthéisme moral : l’homme s’élève progressivement à Dieu par le développement de son être intime, il suffit au moi de s’élargir, pour dépouiller l’individualité qui le restreignait, et embrasser en lui la totalité des êtres ; il devient donc légitimement un centre parce qu’il s’identifie à Dieu, et qu’en Dieu il se sent identifié à toutes les créatures ; il pratique alors la charité de l’univers, et en particulier la charité du genre humain. Rien de plus contraire à la pensée de Pascal. Dieu est une personne ; si l’on peut dire qu’il est l’être universel, le tout, ce n’est pas qu’il contienne en lui tous les autres êtres, c’est que rien n’existe véritablement que lui. Sa personnalité exclut toute autre personnalité, et c’est pourquoi il faut avoir renoncé à soi pour l’atteindre. Pascal est incompréhensible sans « l’op position invincible » de l’homme et de Dieu, sans l’anta gonisme de la charité stoïcienne et de la charité chré tienne. La charité est l’amour de Dieu ; la première condition de la charité c’est d’avoir sacrifié tout atta chement humain, celui qu’on éprouve aussi bien que celui qu’on inspire 2. On ne passe pas par les créatures


i. Fr. 474.

2. Fr. 471 sqq.

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.