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18 PENSÉES.

moque de l’éloquence ; la vraie morale se moque de la morale, c’est-à-dire que la morale du jugement se moque de la morale de l’esprit — qui 1 est sans règles.

Car le jugement est celui à qui appartient le senti ment, comme les sciences appartiennent à l’esprit 2 ; la finesse est la part du jugement, la géométrie est celle 3 de l’esprit.

Se moquer de la philosophie, c’est vraiment phi losopher 4.


i. Il est dans le sens du fragment que la morale sans règles soit celle du jugement et non celle de l’esprit : on est ainsi conduit à rap porter, avec Havet, qui à la morale du jugement. Mais en rapprochant ce fragment du fragment suivant, on entrevoit une autre explication, que M. Cahen a fort heureusement présentée (Société des humanistes français, n° g, séance du 8 janvier 189G) : « règle veut dire non pas prescription » (comme dans le passage de Méré qui est cité dans notre dernière note à ce fragment), « mais norme, principe régulateur, échelle, point de repère », \eport qui s’oppose au dérèglement (fr. 38a). La difficulté, signalée par M. Cahen lui-même, est que cette inter prétation conviendrait bien mieux à règle au singulier qu’au pluriel employé ici par Pascal. À moins d’introduire dans le texte une substi tution qui n’est pas autorisée par l’état du manuscrit, il convient donc de s’en tenir à l’interprétation d’Havet qui nous semble d’ail leurs convenir à l’allure générale du fragment.

2. Cette opposition de l’esprit et du sentiment est conforme au vocabulaire de Méré : « L’esprit fait plus de réflexions que le senti ment, et d’une manière plus pure et plus distincte. » (De l’Esprit, p. 43.)

3. Est celle en surcharge.

4. Montaigne :« Un ancien, à qui on reprochoit qu’il faisoit pro fession de la philosophie, de laquelle pourtant en son iugement il ne tenoit pas grand compte, respondit que a Cela c’estoit vrayement phi losopher ». (Apol.) — L’opposition de l’intuition ou jugement et de la déduction ou esprit, se poursuit ici et se précise : le jugement devient le sentiment qui est la vie et la vérité, tandis que le raisonnement reste dan3 l’artificiel et dans l’abstrait. Il y a dans l’éloquence autre chose que la rhétorique d’Àristote, dans la morale autre chose que les divi

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