< Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu
Cette page n’a pas encore été corrigée

sur son grand livre ; mais comme l’écueil dont le pied est battu par les vagues et

dont le front rayonne de soleil, comme l’oiseau qui a son nid dans les buissons du chemin et qui vit au milieu de l’azur des cieux, son âme planait dans une région supérieure, toujours calme et sereine ; il n’avait, lui, que deux besoins : la faim et la soif, et si le firmament fût tombé en éclats sur la terre et qu’il eût laissé une bouteille intacte, mon oncle l’eût tranquillement vidée à la résurrection du genre humain écrasé, sur un quartier fumant de quelque étoile. Pour lui, le passé n’était rien et l’avenir n’était pas encore quelque chose. Il comparait le passé à une bouteille vide, et l’avenir à un poulet prêt à être mis à la broche.

— Que m’importe, disait-il, quelle liqueur a contenu la bouteille ? et pour le poulet, pourquoi me ferais-je rôtir moi-même à le faire passer et repasser devant l’âtre ? peut-être, quand il sera cuit à point, que le couvert sera dressé, que je me serai revêtu de ma serviette, surviendra un molosse qui emportera la volaille fumante entre ses dents.

Éternité, néant, passé, sombres abîmes !

s’écrie le poète ; pour moi, tout ce que je voudrais retirer de ce sombre abîme, c’est mon dernier habit rouge s’il surnageait à ma portée ; la vie est tout entière dans le présent, et le présent c’est la minute qui passe ; or, que me fait à moi un bonheur ou un malheur d’une minute ? Voici un mendiant et un millionnaire ; Dieu leur dit : Vous n’avez qu’une minute à rester sur la terre ; cette minute écoulée, il leur en accorde une seconde, puis une troisième, et il les fait vivre ainsi jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Croyez-vous que l’un est bien plus heureux que l’autre ? Toutes les misères qui affligent l’homme, c’est lui qui en est l’artisan ; les jouissances qu’il s’élabore ne valent pas le quart de la peine qu’il se donne pour les acquérir. Il ressemble à un chasseur qui bat toute la journée une campagne pour un lièvre étique ou une carcasse de perdrix. Nous nous vantons de la supériorité de notre intelligence, mais

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.