< Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans sa propre ineptie. Écoutez-moi, frère Cornemuse. Nous n’avons pas un moment à perdre. Il faut affranchir le peuple pingouin, il faut le délivrer de ses tyrans, le sauver de lui-même, restaurer la crête du Dragon, rétablir l’ancien État, le Bon-État, pour l’honneur de la religion et l’exaltation de la foi catholique. Chatillon était un mauvais instrument ; il s’est brisé dans nos mains. Prenons, pour le remplacer, un instrument meilleur. Je tiens l’homme par qui la démocratie impie sera détruite. C’est un civil ; c’est Gomoru. Les Pingouins en raffolent. Il a déjà trahi son parti pour un plat de riz. Voilà l’homme qu’il nous faut !

Dès le début de ce discours, le religieux des Conils avait enjambé sa fenêtre et tiré l’échelle.

— Je le prévois, répondit-il, le nez entre les deux châssis de la croisée : vous n’aurez pas de cesse que vous ne nous ayez fait tous expulser jusqu’au dernier de cette belle, amène et douce terre de Pingouinie. Bonsoir, Dieu vous garde !

Agaric, planté devant le mur, adjura son bien cher frère de l’écouter un moment :

— Comprenez mieux votre intérêt, Cornemuse ! La Pingouinie est à nous. Que nous faut-il pour la conquérir ? Encore un effort,… Encore un léger sacrifice d’argent, et…

Mais, sans en entendre davantage, le religieux des Conils retira son nez et ferma sa fenêtre.

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.