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LE POÈTE ASSASSINÉ

teau les tasses, la cafetière, le pot au lait, le pot à

miel, les tartines beurrées et la tarte aux myrtilles.

— Vous voulez un bon conseil, dit Mme Dehan en essuyant du revers de sa main le café au lait qui coulait sur son menton. Vous ferez baptiser votre enfant.

— Je n’y manquerai pas, dit Macarée.

— Je pense même, dit Mlle Baba, qu’il serait bon de l’ondoyer le jour de sa naissance.

— En effet, marmotta Mme Dehan la bouche pleine, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Puis vous le nourrirez vous-même, et si j’étais de vous, si j’avais de l’argent comme vous, je tâcherais d’aller à Rome avant d’accoucher et de me faire bénir par le pape. Il ne connaîtra jamais les caresses, ni les corrections paternelles, votre enfant ; il ne prononcera jamais le doux nom de papa. Au moins que la bénédiction du pape le suive toute sa vie.

Et Mme Dehan se mit à sangloter comme un pot au feu qui déborde, Macarée versa des larmes aussi abondantes que celles d’une baleine qui souffle. Mais que dire de Mlle Baba ? Les lèvres bleues de myrtilles, elle pleura tant et tant que, de la gorge, les sanglots se propagèrent jusqu’à son pucelage qui manqua s’étrangler.


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