< Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Pour le théâtre ayant quitté l’aiguille,
  À mon début,
  Craignant quelque rebut,
  Je me livre en tribut
  Au censeur Mascarille,
  Et ce cuistre insolent
  Dénigre mon talent ;
Mais moi j’en ris, tant je suis bonne fille.

Un sénateur, qui toujours apostille,
  Dit : je voudrais
  Servir tes intérêts.
  Lors j’essaie à grands frais
  D’échauffer le vieux drille.
  Quoi qu’il fît espérer,
  Je n’en pus rien tirer ;
Mais j’en ai ri, tant je suis bonne fille.

Un chambellan, qui de clinquant pétille,
  Après qu’un jour
  Il m’eut fait voir la cour,
  Enrichit mon amour
  De ce jonc qui scintille.
  J’en fais voir le chaton :
  C’est du faux, me dit-on ;
Et moi j’en ris, tant je suis bonne fille.

Un bel esprit, beau de l’esprit qu’il pille,
  Grâce à moi fut
  Nommé de l’Institut.
  Quand des voix qu’il me dut
  Vient l’éclat dont il brille,
  Avec moi que de fois
  Il a manqué de voix !
Mais j’en ai ri, tant je suis bonne fille.

Un lycéen, qui sort de sa coquille,
  Tout triomphant,
  Dans ses bras m’étouffant,
  De me faire un enfant
  Me proteste qu’il grille ;
  Et le petit morveux,
  Au lieu d’un, m’en fait deux ;
Mais moi j’en ris, tant je suis bonne fille.

Trois auditeurs me disent : Viens, Camille,
  Soupe avec nous ;
  Que nous fassions les fous.
  J’étais seule pour tous :
  L’un d’eux me déshabille.
  Puis le vin met dedans
  Nos petits intendants ;
Et moi j’en ris, tant je suis bonne fille.

Telle est ma vie ; et sur mainte vétille
  J’aurais ici
  Pu glisser, Dieu merci !
  Dans ses jupons aussi
  Je sais qu’on s’entortille ;
  Mais les restrictions,
  Mais les précautions,
Moi je m’en ris, tant je suis bonne fille.

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.