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LES OISEAUX DE LA GRENADIÈRE[1]


Air :


  Comme en ses vœux l’homme s’abuse !
  Le ciel permet, qu’en ce réduit,
  Disais-je d’une voix qui s’use,
  Mes derniers jours coulent sans bruit.
  Et de ces murs le sort m’exile.
  Adieu, fleuve, arbustes et fleurs ;
  Vous, de mes fruits joyeux voleurs,
  Oiseaux qui charmez cet asile.

Oiseaux, adieu. Peuple heureux et chéri,
En vous créant l’Éternel a souri.

bis.


  J’entends un oiseau me répondre :
  « Ami, pourquoi t’affliger tant ?
  « Sur nous l’orage vient-il fondre,
  « Un abri partout nous attend.
  « Quand l’hiver, qui tout décolore,
  « Dépouille jardins et forêts,
  « Il reste encor quelques cyprès
  « D’où nos voix réveillent l’aurore. »
Oiseaux, adieu. Peuple heureux et chéri,
En vous créant l’Éternel a souri.

  « La pauvreté, sombre nuage,
  « Bientôt, dis-tu, fondra sur toi.
  « Jeune, tu bravais son passage ;
  « Au soleil n’as-tu donc plus foi ?
  « Crois-nous, quelques routes nouvelles
  « Que ton vol prenne en son essor,
  « Si le nuage crève encor,
  « Un rayon séchera tes ailes. »
Oiseaux, adieu. Peuple heureux et chéri,
En vous créant l’Éternel a souri.

  « Tu nous as chanté, sous ces treilles,
  « L’aigle expirant, captif des mers.
  « Apprends d’infortunes pareilles
  « À subir de communs revers.
  « Va gaiement où le sort te pousse,
  « À la ville ou dans un chalet.
  « Pour ton nid, pauvre roitelet,
  « Que te faut-il ? Un peu de mousse. »
Oiseaux, adieu. Peuple heureux et chéri,
En vous créant l’Éternel a souri.

  « La fin de tout, nul ne l’ignore.
  « D’avance tu sauras quitter
  « Ces rosiers qui sont près d’éclore,
  « Ces arbres qu’on t’a vu planter.
  « Lorsqu’à partir tu te disposes,
  « Un corbeau te crie à l’écart :

  1. La Grenadière, petite habitation sur les bords de la Loire, vis-à-vis de Tours, décrite avec l’admirable talent qu’on lui connaît par M. de Balzac, qui y avait demeuré quelque temps avant moi. Le propriétaire de cette agréable maisonnette, l’excellent M. de Longpré, à qui il n’a pas tenu que j’y prolongeasse mon séjour, a respecté les plantations qu’il m’avait permis d’y faire.
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