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Notre planète eut une enfance étrange :
Buffon l’a dit, Cuvier l’a constaté.
Un peu de feu qu’enserre un peu de fange
Donna naissance à ce monde encroûté.
Sur l’embryon la mer jetant sa robe
De sa vermine assez mal le purgea.
L’homme vint tard ; et moi, je crains déjà
  De voir périr ce globe.

Passé, dis-moi, criai-je au bord d’un gouffre,
Combien de temps a roulé suspendu
Ce point où l’homme en passant pleure et souffre ?
Et des anciens l’histoire a répondu.
Mais quelle foi peut retrouver sa route
Sous les débris de leurs dogmes nombreux ?
Perses, Hindous, Grecs, Égyptiens, Hébreux,
  Nous ont légué le doute.

Le doute est froid, quelque part qu’on s’y loge.
Pour m’en tirer invoquons l’avenir.
Un nouveau Christ passe, et je l’interroge :
— Maître, ce monde un jour doit-il finir ?
— Jamais, dit-il. Vive notre planète,
Dont ma Triade éternise le cours !
À ses croyants ainsi répond toujours
  Ce messie en goguette.

Si le passé n’a point d’écho fidèle,
Si l’avenir est muet et voilé,
Présent, dis-moi, notre terre doit-elle
Faire faux bond à l’empire étoilé ?
Mais du passé près de franchir la porte,
Ce nain chétif, que l’avenir poursuit,
N’a pas le temps de me répondre, et fuit
  En disant : Que m’importe !

Dieu voit la fin de tout ce qu’il fait naître.
Le monde est né, le monde doit mourir.
Quand ? Ah ! dit l’un, avant demain peut-être ;
L’autre lui donne un long temps à courir.
Tandis qu’ainsi sur l’époque assignée
Nous discutons, plus ou moins nous trompant,
Au bout d’un fil le monde est là qui pend
  Comme un nid d’araignée.

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