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— Si vous en aviez, aimeriez-vous à aller avec eux ? »

Je réfléchis. La pauvreté semble douloureuse aux hommes, encore plus aux enfants. Ils ne se font pas idée de ce qu’est une pauvreté industrieuse, active et honorable ; le mot ne leur rappelle que des vêtements en lambeaux, le manque de nourriture, le foyer sans flammes, les rudes manières et les vices dégradants.

« Non, répondis-je, je ne voudrais pas appartenir à des pauvres.

— Pas même s’ils étaient bons pour vous ? »

Je secouai la tête ; je ne pouvais pas comprendre comment des pauvres auraient été bons ; et puis apprendre à parler comme eux, adopter leurs manières, ne point recevoir d’éducation, grandir comme ces malheureuses femmes que je voyais quelquefois nourrir leurs enfants ou laver leurs vêtements à la porte des fermes du village, non, je n’étais pas assez héroïque pour accepter l’abjection en échange de la liberté.

« Mais vos parents sont-ils donc si pauvres ? Sont-ce des ouvriers ?

— Je ne puis le dire ; ma tante prétend que, si j’en ai, ils doivent appartenir à la race des mendiants, et je ne voudrais pas aller mendier.

— Aimeriez-vous à aller en pension ? »

Je réfléchis de nouveau. Je savais à peine ce qu’était une pension. Bessie m’en avait parlé comme d’une maison où les jeunes filles étaient assises sur des bancs de bois, devant une grande table, et où l’on exigeait d’elles de la douceur et de l’exactitude. John Reed détestait sa pension et raillait ses maîtres ; mais les goûts de John ne pouvaient servir de règle aux miens. Si les détails que m’avait donnés Bessie, détails qui lui avaient été fournis par les jeunes filles d’une maison où elle avait servi avant de venir à Gateshead, étaient un peu effrayants, d’un autre côté, je trouvais bien de l’attrait dans les talents acquis par ces mêmes jeunes filles. Bessie me vantait les beaux paysages, les jolies fleurs exécutés par elles ; puis elles savaient chanter des romances, jouer des pièces, traduire des livres français. En écoutant Bessie, mon esprit avait été frappé, et je sentais l’émulation s’éveiller en moi. D’ailleurs, la pension amènerait un complet changement de vie, remplirait une longue journée, m’éloignerait des habitants du château, serait enfin le commencement d’une nouvelle existence.

« Que j’aimerais à aller en pension ! répondis-je sans plus d’hésitation.

— Eh bien, eh bien ! qui sait ce qui peut arriver ? me dit M. Loyd en se levant. Il faudrait à cette enfant un changement

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