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ner le temps de répondre, jugeant à l’expression de

mon visage que sa pitié familière me déplaisait, il se mit à me parler avec un dédain superbe de tous les grands poëtes contemporains. Les pédants et les critiques n’aiment pas les poëtes ; ils s’imaginent qu’ils sont leurs supérieurs ; ils ne les comprennent réellement jamais, mais ils en font l’éloge lorsque la postérité les a couronnés ; ils les analysent pour les décomposer ; ils ne sont pourtant quelque chose que par eux ; ils s’approprient leurs beautés et font passer leur souffle créateur dans leur critique stérile. Sans le génie des poëtes, leur esprit serait à néant ; leur verve jaillit de l’envie.

Après des généralités jalouses et haineuses, Duchemin concentra ses coups contre les trois ou quatre poëtes qu’il savait être de mes amis ; il s’acharna surtout contre Albert de Germiny, dont la longue jeunesse et la bonne mine irritaient sa laideur.

— Oh ! celui-là, me dit-il, est bien heureux, car il passe pour vous plaire ; comment donc, lui qui a de la fortune, vous laisse-t-il en proie à la nécessité, et il appuya sur ce mot que j’avais prononcé.

— Encore ! m’écriai-je avec colère, est-ce que vous pensez, monsieur, que je demande l’aumône à mes amis ?

— Ne comprenez-vous pas que ce sont eux seulement que j’accuse, reprit-il en faisant un mouvement pour ressaisir de nouveau ma main que je lui retirai. Si jamais j’avais le bonheur d’être aimé, ou seulement

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