jeunes amis, devenant intéressés, se disent encore : « Voilà un homme qui nous a emprunté quelques écus. » Ce qui est très-vrai ; j’en emprunte toujours. D’où il résulte que nos jeunes amis, en étant réduits à la prose, ce qui est infiniment regrettable, ont perdu la faculté qu’ils avaient de m’amuser. Dès lors, pourquoi irais-je les voir ? ce serait absurde. »
Un air de bienveillance souverainement désintéressée et vraiment étonnante perçait à travers le brillant sourire dont il accompagnait ce raisonnement.
« D’ailleurs, poursuivit-il d’un ton à la fois convaincu et dégagé, si j’évite les lieux où j’éprouverais de l’ennui, ne serait-ce pas une chose monstrueuse que d’y aller avec l’intention d’y être une cause de peine ? ce que je deviendrais évidemment pour Éva et pour Richard, si je les visitais dans le fâcheux état d’esprit où ils se trouvent maintenant ; l’idée seule m’en serait désagréable. Ils pourraient se dire : « Voilà un homme qui a eu notre argent et qui ne peut pas nous le rendre, » ce qui est hors de doute. L’amitié d’accord avec les convenances me commande de ne plus les revoir, et c’est ce que je ferai, soyez-en sûre. »
Il termina ces mots en me remerciant et en me baisant la main. Il avait fallu, me dit-il, toute la délicatesse de tact de miss Summerson, pour l’éclairer sur son devoir en cette circonstance.
J’étais on ne peut plus déconcertée : mais je finis par me dire que si le point principal était gagné, peu importait la manière dont M. Skimpole interprétait les motifs. Et puisque la glace était rompue, j’en profitai pour lui parler de quelque chose qui ne me paraissait pas prêter à une réponse aussi facile.
« Avant de terminer cette visite, lui dis-je, permettez-moi, monsieur Skimpole, de vous exprimer combien j’ai été surprise d’apprendre, et cela de bonne source, que vous aviez su dans le temps avec qui ce pauvre Jo avait quitté Bleak-House ; et que même à cette occasion vous aviez accepté quelque argent ; je n’en ai rien dit à M. Jarndyce, parce que je craignais de le blesser inutilement ; mais, je vous le répète, j’en ai été bien étonnée.
— Vraiment, chère miss ? répondit-il en relevant les sourcils d’un air interrogateur.
— Excessivement étonnée.
— Pourquoi, miss Summerson ? vous savez quel homme je suis, un véritable enfant. »
J’éprouvais quelque répugnance à traiter cette question plus en détail ; mais comme il était curieux de savoir pourquoi j’étais surprise, et qu’il me pria de le lui dire, j’essayai de lui faire comprendre, en me servant des termes les plus doux que je pus