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au-dessus des pelouses ruisselantes. Partout dans le château s’élève une odeur fade et glacée, pareille à celle qu’on respire dans la chapelle, et qui fait naître cette pensée, que les vieux Dedlock se lèvent du tombeau pour venir se promener la nuit dans leur ancien manoir et laissent derrière eux cette vapeur sépulcrale.

Mais l’hôtel de Londres, qui brille ou s’assombrit rarement en même temps que Chesney-Wold, excepté quand un Dedlock vient à mourir, est aujourd’hui dans tout l’éclat de son réveil ; un air tiède et chargé du parfum des fleurs y fait oublier l’hiver ; de moelleux tapis, d’épaisses tentures y interceptent les bruits du dehors ; le tintement des pendules, le pétillement de la flamme, troublent seuls le silence qui règne partout dans cette demeure somptueuse, et sir Leicester repose avec joie et dignité ses membres transis devant le grand feu de la bibliothèque, parcourant d’un œil protecteur les titres inscrits au dos de ses livres, et honorant d’un regard d’approbation les œuvres d’art qui l’entourent ; car il a ses tableaux anciens et modernes, dont quelques-uns pourraient se cataloguer ainsi, comme un lot d’articles divers : trois fauteuils gothiques, une table préparée pour le repas, une bouteille à long col remplie de vin, un flacon, un costume de femme espagnole, le portrait de miss Jogg (le modèle) vue de trois quarts, et une armure complète renfermant don Quichotte ; ou bien dans le fond une gondole et une terrasse dégradée ; au premier plan un costume de vénitienne, robe de satin blanc richement brodée de perles et d’or ; le portrait de miss Jogg (vue de profil), un magnifique cimeterre, dont la poignée est enrichie de pierreries, un costume mauresque très-étudié, fort rare, avec un Othello.

M. Tulkinghorn vient souvent à l’hôtel, où l’amènent des affaires relatives aux propriétés du baronnet, des baux à renouveler, des quittances à signer et ainsi de suite ; il voit souvent milady ; tous les deux se rencontrent avec le même calme, la même indifférence qu’à l’ordinaire, et ne semblent pas faire la moindre attention l’un à l’autre. Il se peut toutefois que milady craigne M. Tulkinghorn, et qu’il le sache ; il se peut qu’il la poursuive impitoyablement, sans repos ni trêve, comme sans remords ; que sa beauté, sa grâce, la grandeur et l’éclat dont elle est entourée, ne fassent qu’ajouter un intérêt plus vif au complot qu’il médite et le rende plus inflexible. Que ce soit chez lui froideur ou cruauté, amour de la domination, curiosité ardente, volonté ferme de pénétrer le seul secret qui lui reste à connaître ; qu’au fond de l’âme il n’ait que haine et mépris pour cette

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