< Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu
Cette page a été validée par deux contributeurs.

On soulève tous les voiles, on met le doigt sur toutes les

plaies, nous assistons à une orgie de révélations scandaleuses. Les pères sont confondus les premiers et rougissent de leur ancienne morale. Tenez, à Moscou, un père exhortait son fils à ne reculer devant rien pour gagner de l’argent ; la presse s’est emparée du fait et l’a livré à la connaissance du public. Regardez mon général, eh bien, qu’est-il devenu ? Mais, du reste, savez-vous une chose ? il me semble que mon général est un honnête homme, oui, je vous l’assure ! On ne peut lui reprocher que d’être adonné au désordre et à la boisson. Oui, c’est ainsi ! Il me fait même pitié ; je n’ose pas le dire, parce qu’ils se moquent tous de moi ; mais en vérité je le plains. Et que sont-ils, eux, les gens intelligents ? Des usuriers, tous, depuis le premier jusqu’au dernier ! Hippolyte fait l’apologie de l’usure, il prétend qu’elle est nécessaire, il parle de mouvement économique, de flux et de reflux, le diable sait ce qu’il dit ! Cela me fâche de l’entendre tenir ce langage, mais il est aigri. Figurez-vous que sa mère est entretenue par le général et qu’elle lui prête de l’argent à la petite semaine ! N’est-ce pas honteux ? Et savez-vous que maman, — je dis bien, — maman, Nina Alexandrovna, la générale, fournit à Hippolyte des secours de toute sorte : argent, vêtements, linge ; par l’intermédiaire d’Hippolyte elle vient même jusqu’à un certain point en aide aux babies, parce que leur mère ne s’occupe pas d’eux. Et Varia en fait autant.

— Voyez-vous, vous dites qu’il n’y a pas de gens honnêtes et forts, qu’il n’y a que des usuriers, eh bien, mais en voici, des gens forts : votre mère et Varia. Secourir autrui dans de semblables conditions, n’est-ce pas un indice de force morale ?

— Varia agit ainsi par amour-propre, par ostentation, pour ne pas se laisser vaincre par ma mère ; quant à maman, en effet… je l’estime. Oui, j’approuve et j’honore sa conduite. Hippolyte lui-même y est sensible, quelque endurci qu’il soit. D’abord il en riait et il trouvait que c’était une bassesse de la part de maman, mais maintenant il lui arrive parfois

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.