— Je ne savais pas qu’on vous considérait comme une sotte, je… je ne suis pas de cet avis.
— Vous n’êtes pas de cet avis ? C’est très-intelligent de votre part. C’est surtout dit avec esprit.
— Selon moi, poursuivit le prince, — peut-être êtes-vous même fort intelligente par moments ; tantôt vous avez prononcé tout d’un coup une parole pleine de sens. À propos de la conjecture que j’ai émise au sujet d’Hippolyte, vous avez dit : « Vous n’avez que de la justice, par conséquent vous êtes injuste. » Je me souviendrai de ce mot et je le méditerai.
Aglaé rougit de plaisir. Tous ces changements se produisaient en elle avec autant de franchise que de soudaineté. Le prince était fort content aussi et riait de joie en la regardant.
— Écoutez donc, reprit-elle, — je vous ai attendu longtemps pour vous raconter tout cela ; depuis la lettre que vous m’avez adressée de là-bas, et même depuis plus longtemps encore je vous attendais… Hier déjà je vous ai dit la moitié de ce que j’avais à vous dire : je vous considère comme un homme très-honnête et très-droit, plus honnête et plus droit que personne, et si l’on dit que vous avez l’esprit… que vous êtes parfois malade d’esprit, cela n’est pas juste ; telle est mon opinion et je l’ai soutenue envers et contre tous, car, quoique vous soyez en effet malade d’esprit (sans doute vous ne vous fâcherez pas du mot, je me place à un point de vue supérieur), en revanche l’intelligence principale est chez vous plus développée que chez aucun d’eux, vous la possédez à un degré qu’ils n’ont jamais entrevu même en rêve, parce qu’il y a deux sortes d’intelligences, l’intelligence principale et l’intelligence secondaire. N’est-ce pas ? Est-ce vrai ?
— C’est peut-être vrai, en effet, eut à peine la force d’articuler le prince dont le cœur battait avec une violence extraordinaire.
— Je savais bien que vous comprendriez, continua-t-elle gravement. — Le prince Chtch… et Eugène Pavlitch ne