— Des crimes impossibles ? Mais je vous assure que des crimes tout pareils, et peut-être plus épouvantables encore, ont eu lieu aussi autrefois, qu’il y en a toujours eu, non-seulement chez nous mais partout, et que, selon moi, ils ne disparaîtront pas d’ici à très-longtemps. Seulement autrefois il y avait chez nous moins de publicité, maintenant l’opinion s’occupe de ces criminels, tout le monde commente par la parole ou par la plume leurs faits et gestes, c’est pourquoi ils semblent constituer un phénomène nouveau dans la société. Voilà où gît votre erreur, prince, et elle est extrêmement naïve, je vous l’assure, observa avec un sourire moqueur le prince Chtch…
— Je sais bien moi-même qu’il s’est commis autrefois beaucoup de crimes et d’aussi épouvantables ; dernièrement encore j’ai visité des prisons, et j’ai eu l’occasion de faire connaissance avec divers détenus, tant prévenus que condamnés. Il y a même des criminels plus effroyables que celui-là, des gens qui ont assassiné jusqu’à dix personnes et qui ne s’en repentent nullement. Mais voici ce que j’ai remarqué dans mes rapports avec ces scélérats : l’assassin le plus endurci, le plus inaccessible au remords, sait néanmoins qu’il est un criminel, c’est-à-dire qu’il croit, en conscience, avoir mal agi, lors même qu’il n’éprouve aucun repentir de ses actes. C’est ainsi qu’ils sont tous, tandis que ceux dont a parlé Eugène Pavlitch, ne veulent même pas se croire coupables ; en eux-mêmes ils estiment qu’ils étaient dans leur droit et… qu’ils ont bien fait ; du moins telle est à peu près leur conviction. Eh bien, cela fait, à mon avis, une différence terrible. Et notez que tous sont des jeunes gens, c’est-à-dire qu’ils sont dans l’âge où la perversion des idées s’opère le plus facilement.
Le prince Chtch… avait cessé de rire et il écoutait Muichkine avec étonnement. Alexandra Ivanovna qui depuis longtemps voulait faire une observation gardait le silence et semblait avoir un motif particulier pour se taire. Eugène Pavlovitch décidément surpris considérait le prince sans