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— Vous, mademoiselle !… Ah bien ! si je songeais à vous !  

C’était Christine. Il n’avait pu rattraper à temps ce cri peu aimable, qui était le cri même de la vérité. D’abord, elle l’avait préoccupé de son souvenir ; ensuite, à mesure que les jours s’écoulaient, depuis près de deux mois qu’elle ne donnait pas signe de vie, elle était passée à l’état de vision fuyante et regrettée, de profil charmant qui se perd et qu’on ne doit jamais revoir.

— Oui, c’est moi, monsieur… J’ai pensé que c’était mal de ne pas vous remercier… 

Elle rougissait, elle balbutiait, ne pouvant trouver les mots. Sans doute la montée de l’escalier l’avait essoufflée, car son cœur battait très fort. Eh quoi ? était-ce donc déplacé, cette visite, raisonnée si longtemps, et qui avait fini par lui sembler toute naturelle ? Le pis était qu’en passant sur le quai, elle venait d’acheter cette botte de roses, dans l’intention délicate de témoigner sa gratitude à ce garçon ; et ces fleurs la gênaient horriblement. Comment les lui donner ? Qu’allait-il penser d’elle ? L’inconvenance de toutes ces choses ne lui était apparue qu’en ouvrant la porte.

Mais Claude, plus troublé encore, se jetait à une exagération de politesse. Il avait lâché sa palette, il bouleversait l’atelier pour débarrasser une chaise.

— Mademoiselle, je vous en prie, asseyez-vous… Vraiment, c’est une surprise… Vous êtes trop charmante… 

Alors, quand elle fut assise, Christine se calma. Il était si drôle avec ses grands gestes éperdus, elle le sentait lui-même si timide, qu’elle eut un sourire. Et elle lui tendit les roses, bravement.

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