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je soigne sa bouche !… Mais il faut manger, n’est-ce pas ?

Il avait bien une idée pour le Salon, une figure debout, une baigneuse, tâtant l’eau de son pied, dans cette fraîcheur dont le frisson rend si adorable la chair de la femme ; et il en montra une maquette déjà fendillée à Claude, qui la regarda en silence, surpris et mécontent des concessions qu’il y remarquait : un épanouissement du joli sous l’exagération persistante des formes, une envie naturelle de plaire, sans trop lâcher encore le parti pris du colossal. Seulement, il se désolait, car c’était une histoire qu’une figure debout. Il fallait des armatures de fer, qui coûtaient bon, et une selle qu’il n’avait pas, et tout un attirail. Aussi allait-il sans doute se décider à la coucher au bord de l’eau.

— Hein ? qu’en dis-tu ?… Comment la trouves-tu ?

— Pas mal, répondit enfin le peintre. Un peu romance, malgré ses cuisses de bouchère ; mais ça ne se jugera qu’à l’exécution… Et debout, mon vieux, debout, autrement tout fiche le camp !

Le poêle ronflait, et Chaîne, muet, se releva. Il rôda un instant, entra dans l’arrière-boutique noire, où se trouvait le lit qu’il partageait avec Mahoudeau ; puis, il reparut, le chapeau sur la tête, plus silencieux encore, d’un silence volontaire, accablant. Sans hâte, de ses doigts gourds de paysan, il prit un morceau de fusain, il écrivit sur le mur : « Je vais acheter du tabac, remets du charbon dans le poêle. » Et il sortit.

Stupéfait, Claude l’avait regardé faire. Il se tourna vers l’autre.

— Quoi donc ?

— Nous ne nous parlons plus, nous nous écrivons, dit tranquillement le sculpteur.

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