qu’ils fussent coude à coude, trop serrés autour de cette table. Puis, le milieu était nouveau : une femme, aujourd’hui, apportait son charme, les calmait par sa présence. Alors, pourquoi, devant ce cours fatal des choses qui meurent et se renouvellent, avait-il donc cette sensation de recommencement ? pourquoi aurait-il juré qu’il s’était assis à cette place, le jeudi de la semaine précédente ? et il crut comprendre enfin : c’était Sandoz qui, lui, n’avait pas bougé, aussi entêté dans ses habitudes de cœur que dans ses habitudes de travail, radieux de les recevoir à la table de son jeune ménage, ainsi qu’il l’était jadis de partager avec eux son maigre repas de garçon. Un rêve d’éternelle amitié l’immobilisait, des jeudis pareils se succédaient à l’infini, jusqu’aux derniers lointains de l’âge. Tous éternellement ensemble ! tous partis à la même heure et arrivés dans la même victoire !
Il dut deviner la pensée qui rendait Claude muet, il lui dit au travers de la nappe, avec son bon rire de jeunesse :
— Hein ? vieux, t’y voilà encore ! Ah ! nom d’un chien ! que tu nous as manqué !… Mais, tu vois, rien ne change, nous sommes tous les mêmes… N’est-ce pas ? vous autres !
Ils répondirent par des hochements de tête. Sans doute, sans doute !
— Seulement, continua-t-il épanoui, la cuisine est un peu meilleure que rue d’Enfer… Vous en ai-je fait manger, des ratatouilles !
Après la bouillabaisse, un civet de lièvre avait paru ; et une volaille rôtie, accompagnée d’une salade, termina le dîner. Mais on resta longtemps à table, le dessert traîna, bien que la conversation n’eût pas