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quelque monsieur à passions. Maintenant donc, il vivait seul, dans un redoublement de misère, mangeant lorsqu’il avait des ornements de façade à gratter ou quelque figure d’un confrère plus heureux à mettre au point.

— Tu entends, je vais le chercher, c’est plus sûr, répéta Claude à Christine. Nous avons encore deux heures devant nous… Et, si les autres arrivent, fais-les attendre. Nous descendrons tous ensemble à la mairie. 

Dehors, Claude hâta le pas, dans le froid cuisant, qui chargeait ses moustaches de glaçons. L’atelier de Mahoudeau se trouvait au fond d’une cité ; et il dut traverser une suite de petits jardins, blancs de givre, d’une tristesse nue et raidie de cimetière. De loin, il reconnut la porte, au plâtre colossal de la Vendangeuse, l’ancien succès du Salon, qu’on n’avait pu loger dans le rez-de-chaussée étroit : elle achevait de se pourrir là, pareille à un tas de gravats déchargés d’un tombereau, rongée, lamentable, le visage creusé par les grandes larmes noires de la pluie. La clef était sur la porte, il entra.

— Tiens ! tu viens me prendre ? dit Mahoudeau surpris. Je n’ai que mon chapeau à mettre… Mais, attends, j’étais à me demander si je ne devrais pas faire un peu de feu. J’ai peur pour ma bonne femme. 

L’eau d’un baquet était prise, il gelait dans l’atelier aussi fort que dehors ; car, depuis huit jours, sans un sou, il économisait un petit reste de charbon, en n’allumant le poêle qu’une heure ou deux le matin. Cet atelier était une sorte de caveau tragique, près duquel la boutique d’autrefois éveillait des souvenirs de tiède bien-être, tellement les murs nus, le

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