gement dans la lutte pour la vie, cette rancune des personnalités aux prises, qui emportait sa chimère d’éternelle amitié.
Henriette, heureusement, s’inquiétait de la violence des voix. Elle se leva et alla faire honte aux fumeurs d’abandonner ainsi les dames, pour se quereller. Tous rentrèrent dans le salon, suant, soufflant, gardant la secousse de leur colère. Et, comme elle disait, les yeux sur la pendule, qu’ils n’auraient décidément pas Fagerolles ce soir-là, ils se remirent à ricaner, en échangeant un regard. Ah ! il avait bon nez, lui ! ce n’était pas lui qu’on prendrait à se rencontrer avec d’anciens amis devenus gênants, et qu’il exécrait !
En effet, Fagerolles ne vint pas. La soirée s’acheva péniblement. On était retourné dans la salle à manger, où le thé se trouvait servi sur une nappe russe, brodée en rouge d’une chasse au cerf ; et il y avait, sous les bougies rallumées, une brioche, des assiettes de sucreries et de gâteaux, tout un luxe barbare de liqueurs, whisky, genièvre, kummel, raki de Chio. Le domestique apporta encore du punch, et il s’empressait autour de la table, pendant que la maîtresse de la maison remplissait la théière au samovar, bouillant en face d’elle. Mais ce bien-être, cette joie des yeux, cette odeur fine du thé, ne détendaient pas les cœurs. La conversation était retombée sur le succès des uns et la mauvaise chance des autres. Par exemple, n’était-ce pas une honte, ces médailles, ces croix, toutes ces récompenses qui déshonoraient l’art, tant on les distribuait mal ? Est-ce qu’on devait rester d’éternels petits garçons en classe ? Toutes les platitudes venaient de là, cette docilité et cette lâcheté devant les pions, pour avoir des bons points !