< Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’artistes passionnés, qui lui troublaient la cervelle avec l’emportement de leurs théories.

— Fichtre ! dit Claude, quel morceau !  

Le sculpteur, ravi, tira sur sa pipe, lâcha un nuage de fumée.

— Hein ! n’est-ce pas ?… Je vais leur en coller, de la chair, et de la vraie, pas du saindoux comme ils en font !

— C’est une baigneuse ? demanda Sandoz.

— Non, je lui mettrai des pampres… Une bacchante, tu comprends !

Mais, du coup, violemment, Claude s’emporta.

— Une bacchante ! est-ce que tu te fiches de nous ! est-ce que ça existe, une bacchante ?… Une vendangeuse, hein ? et une vendangeuse moderne, tonnerre de Dieu ! Je sais bien, il y a le nu. Alors, une paysanne qui se serait déshabillée. Il faut qu’on sente ça, il faut que ça vive !  

Mahoudeau, interdit, écoutait avec un tremblement. Il le redoutait, se pliait à son idéal de force et de vérité. Et, renchérissant :

— Oui, oui, c’est ce que je voulais dire… Une vendangeuse. Tu verras si ça pue la femme !  

À ce moment, Sandoz, qui faisait le tour de l’énorme bloc d’argile, eut une légère exclamation.

— Ah ! ce sournois de Chaîne qui est là !

En effet, derrière le tas, Chaîne, un gros garçon, peignait en silence, copiant sur une petite toile le poêle éteint et rouillé. On reconnaissait un paysan à ses allures lentes, à son cou de taureau, halé, durci, en cuir. Seul, le front se voyait, bombé d’entêtement ; car son nez était si court, qu’il disparaissait entre les joues rouges, et une barbe dure cachait ses fortes mâchoires. Il était de Saint-Firmin, à deux

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.