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monde, pour entrer dans la salle déserte et fraîche.

— Tiens ! Fagerolles qui est seul ! cria Claude.

Il avait marché à leur table accoutumée, au fond, à gauche, et il serrait la main d’un garçon mince et pâle, dont la figure de fille était éclairée par des yeux gris, d’une câlinerie moqueuse, où passaient des étincelles d’acier.

Tous s’assirent, on commanda des bocks, et le peintre reprit :

— Tu sais que je suis allé te chercher chez ton père… Il m’a joliment reçu !  

Fagerolles, qui affectait des airs de casseur et de voyou, se tapa sur les cuisses.

— Ah ! il m’embête, le vieux !… J’ai filé ce matin, après un attrapage. Est-ce qu’il ne veut pas me faire dessiner des choses pour ses cochonneries en zinc ! C’est bien assez du zinc de l’École. 

Cette plaisanterie aisée sur ses professeurs enchanta les camarades. Il les amusait, il se faisait adorer par cette continuelle lâcheté de gamin flatteur et débineur. Son sourire inquiétant allait des uns aux autres, tandis que ses longs doigts souples, d’une adresse native, ébauchaient sur la table des scènes compliquées, avec des gouttes de bière répandues. Il avait l’art facile, un tour de main à tout réussir.

— Et Gagnière, demanda Mahoudeau, tu ne l’as pas vu ?

— Non, il y a une heure que je suis là. 

Mais Jory, silencieux, poussa du coude Sandoz, en lui montrant de la tête une fille qui occupait une table avec son monsieur, dans le fond de la salle. Il n’y avait, du reste, que deux autres consommateurs, deux sergents jouant aux cartes. C’était presque une enfant, une de ces galopines de Paris qui gardent à

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