< Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu
Cette page n’a pas encore été corrigée

cer par cet imbécile jaillirent de sa mémoire, à la fois, comme les mille pièces d’un feu d’artifice : café Gascard, café Grimbert, café Halbout, estaminet Bordelais, Havanais, Havrais, Bœuf à la mode, brasserie Allemande, Mère Morel ; et il se transporta dans tous successivement. Mais, dans l’un, Regimbart venait de sortir ; dans un autre, il viendrait peut-être ; dans un troisième, on ne l’avait pas vu depuis six mois ; ailleurs, il avait commandé, hier, un gigot pour samedi. Enfin, chez Vautier, limonadier, Frédéric, ouvrant la porte, se heurta contre le garçon.

— « Connaissez-vous M. Regimbart ? »

— « Comment, monsieur, si je le connais ? C’est moi qui ai l’honneur de le servir. Il est en haut ; il achève de dîner ! »

Et, la serviette sous le bras, le maître de l’établissement, lui-même, l’aborda :

— « Vous demandez M. Regimbart, monsieur ? il était ici à l’instant. »

Frédéric poussa un juron, mais le limonadier affirma qu’il le trouverait chez Bouttevilain, infailliblement.

— « Je vous en donne ma parole d’honneur ! il est parti un peu plus tôt que de coutume, car il a un rendez-vous d’affaires avec des messieurs. Mais vous le trouverez, je vous le répète, chez Bouttevilain, rue Saint-Martin, deuxième perron, à gauche, au fond de la cour, entresol, porte à droite ! »

Enfin, il l’aperçut à travers la fumée des pipes, seul, au fond de l’arrière-buvette après le billard, une chope devant lui, le menton baissé et dans une attitude méditative.

— « Ah ! il y a longtemps que je vous cherchais, vous ! »

Sans s’émouvoir, Regimbart lui tendit deux doigts seulement, et comme s’il l’avait vu la veille, il débita plusieurs phrases insignifiantes sur l’ouverture de la session.

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.