Combien n’avait-il pas fait de courses dans les bureaux, aligné de chiffres, tripoté d’affaires, entendu de rapports ! Que de boniments, de sourires, de courbettes ! Car il avait acclamé Napoléon, les Cosaques, Louis XVIII, 1830, les ouvriers, tous les régimes, chérissant le Pouvoir d’un tel amour, qu’il aurait payé pour se vendre.
Mais il laissait le domaine de la Fortelle, trois manufactures en Picardie, le bois de Crancé dans l’Yonne, une ferme près d’Orléans, des valeurs mobilières considérables.
Frédéric fit ainsi la récapitulation de sa fortune ; et elle allait, pourtant, lui appartenir ! Il songea d’abord à « ce qu’on dirait », à un cadeau pour sa mère, à ses futurs attelages, à un vieux cocher de sa famille dont il voulait faire le concierge. La livrée ne serait plus la même, naturellement. Il prendrait le grand salon comme cabinet de travail. Rien n’empêchait, en abattant trois murs, d’avoir, au second étage, une galerie de tableaux. Il y avait moyen, peut-être, d’organiser en bas une salle de bains turcs. Quant au bureau de M. Dambreuse, pièce déplaisante, à quoi pouvait-elle servir ?
Le prêtre qui venait à se moucher, ou la bonne sœur arrangeant le feu, interrompait brutalement ces imaginations. Mais la réalité les confirmait ; le cadavre était toujours là. Ses paupières s’étaient rouvertes ; et les pupilles, bien que noyées dans des ténèbres visqueuses, avaient une expression énigmatique, intolérable. Frédéric croyait y voir comme un jugement porté sur lui ; et il sentait presque un remords, car il n’avait jamais eu à se plaindre de cet homme, qui, au contraire… « Allons donc ! un vieux misérable ! » et il le considérait de plus près, pour se raffermir, en lui criant mentalement — « Eh bien, quoi ? Est-ce que je t’ai tué ? » Cependant, le prêtre lisait son bréviaire ; la religieuse,