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NOTES DE VOYAGES

(en affaires avec Bonenfant) qui déplorait le sort

des chiens en chemin de fer, « ils sont avec des chiens inconnus qui leur donnaient des puces ; les petits sont étranglés par les grands ; on aimerait mieux payer quelque chose de plus, etc  ».

Eugénie en pleurs est venue : « M. Parain, Madame vous demande, elle a une crise », et ils sont partis.

De Nogent à Paris, quel voyage ! J’ai fermé les glaces (j’étais seul), ai mis mon mouchoir sur la bouche et me suis mis à pleurer. Les sons de ma voix (qui m’ont rappelé Dorval deux ou trois fois) m’ont rappelé à moi ; puis ça a recommencé. Une fois j’ai senti que la tête me tournait et j’ai eu peur : « calmons-nous ! calmons-nous ! ». J’ai ouvert la glace : la lune brillait dans des flaques d’eau et, autour de la lune, du brouillard ; il faisait froid. Je me figurais ma mère crispée et pleurant avec les deux coins de la bouche abaissés…

À Montereau, je suis descendu au buffet et j’ai bu trois ou quatre petits verres de rhum, non pour m’étourdir, mais pour faire quelque chose, une action quelconque.

Ma tristesse a pris une autre forme : j’ai eu l’idée de revenir (à toutes les stations j’hésitais à descendre, la peur d’être un lâche me retenait) et je me figurais la voix d’Eugénie criant : « Madame, c’est M. Gustave ! » Ce plaisir immense, je pouvais le lui faire tout de suite, il ne tenait qu’à moi, et je me berçais de cette idée ; j’étais brisé, je m’y délassais.

Arrivée à Paris. — Interminable lenteur pour avoir mon bagage. Je traverse Paris par le Marais et passe devant la place Royale. Il fallait pourtant

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