< Page:Flaubert - Salammbô.djvu
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le soleil parut, on s’ébranla dans la plaine sur trois lignes : les éléphants d’abord, l’infanterie légère avec la cavalerie derrière elle, la phalange marchait ensuite.

Les Barbares campés à Utique, et les quinze mille autour du pont, furent surpris de voir au loin la terre onduler. Le vent qui soufflait très fort chassait des tourbillons de sable ; ils se levaient comme arrachés du sol, montaient par grands lambeaux de couleur blonde, puis se déchiraient et recommençaient toujours, en cachant aux Mercenaires l’armée punique. À cause des cornes dressées au bord des casques, les uns croyaient apercevoir un troupeau de bœufs ; d’autres, trompés par l’agitation des manteaux, prétendaient distinguer des ailes, et ceux qui avaient beaucoup voyagé, haussant les épaules, expliquaient tout par les illusions du mirage. Cependant, quelque chose d’énorme continuait à s’avancer. De petites vapeurs, subtiles comme des haleines, couraient sur la surface du désert ; le soleil, plus haut maintenant, brillait plus fort : une lumière âpre, et qui semblait vibrer, reculait la profondeur du ciel, et, pénétrant les objets, rendait la distance incalculable. L’immense plaine se développait de tous les côtés à perte de vue ; et les ondulations des terrains, presque insensibles, se prolongeaient jusqu’à l’extrême horizon, fermé par une grande ligne bleue qu’on savait être la mer.

Les deux armées, sorties des tentes, regardaient ; les gens d’Utique, pour mieux voir, se tassaient sur les remparts.

Enfin ils distinguèrent plusieurs barres transversales, hérissées de points égaux. Elles devinrent plus

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.