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parce qu’il avait le nez grand, ou s’il avait le nez grand,

parce qu’il était vaillant, spirituel et passionné : la poule naît-elle de l’œuf ou l’œuf de la poule ? — that is question — de plus savants que moi décideront.

Savinien Cyrano de Bergerac, possesseur de ce nez prodigieux, naquit, en 1620, au château de Bergerac, en Périgord. Son père le mit, pour faire ses études, chez un pauvre curé de campagne qui prenait des pensionnaires et faisait tant bien que mal des éducations de petits hobereaux. Cyrano n’y fit pas grands progrès, car il n’avait pas la moindre confiance en la doctrine du bonhomme, qu’il trouvait pédant au possible et un vrai âne aristotélique ; il suffit qu’il dît blanc pour qu’il crût noir et fît précisément le contraire : c’est sans doute là qu’il prit cette horreur des pédants et de tout ce qui sentait son régent de collège qu’il garda toute sa vie et qui lui inspira tant de piquantes épigrammes contre les Sidias de toute robe et de toute couleur qui cherchent, comme celui de Théopile, si odor in pomo est forma aut accidens. Il ne tarit pas sur leur gourmandise, sur leur ivrognerie, leur couardise, leur saleté, leur avarice, leur ignorance crasse, leur sot orgueil, leur entêtement, tous leurs petits vices honteux, vices à la fois d’enfants et de vieillards, il blasonne avec une verve admirable leurs ongles noirs, leurs mains qui n’ont pas été lavées depuis l’averse du déluge, leurs cheveux gras et peuplés, leur nez roupieux toujours bistré de petun, leur ton superlatif et leurs façons outrecuidantes et plates tout ensemble. Un croquis de frère ignorantin par Charlet n’est pas plus fin et plus naïf. Croyez que les Métaphraste et les Pancrace du Po-

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