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condamnée enfin à la défensive, elle manqua à la règle essentielle de l'action napoléonienne ; elle laissa ses forces dispersées, inarticulées, en face d'un ennemi qui, lui, concentrait les siennes. Ses chefs d'armée, au lieu de garder cette liberté de mouvement qui était l'âme de la guerre, restaient en quelque sorte enfoncés en terre jusqu'au genou, immobilisés sur place par le souci puéril de garder telle ou telle position de choix, quand le canon grondait à deux lieues et les appelait, comme une grande voix de menace et de détresse, au secours de leurs camarades enveloppés par des forces supérieures. La France n'a été un moment vaincue que parce qu'elle s'était oubliée elle-même. Qu'elle se souvienne de son propre passé. Qu'elle retrouve son propre génie, et elle retrouvera le chemin de la victoire, son chemin, celui qu'elle a frayé, et où ses pas ont laissé d'éclatantes traces que n'a pu effacer le piétinement de l'invasion. Car cette invasion même ne fut victorieuse qu'en retournant contre la France les méthodes et le génie de la France. Cessons donc d'aller demander humblement des leçons à ceux dont nous fûmes, dont nous sommes encore les maîtres.

Voilà ce que Gilbert, d'un ton pressant, ardent, presque impérieux, répétait aux officiers de notre armée :

Les campagnes du premier Empire sont l'école où nos voisins ont appris la guerre. Leurs enseignements, médités pendant un demi-siècle, ont préparé Sadowa et Sedan ; tout récemment encore ils inspiraient ce règlement remarquable, digne testament d'un roi-soldat : Le service en campagne du 23 mai 1887.

Dans le même temps que les Allemands remontent ainsi aux véritables sources, aux traditions napoléoniennes, c'est une singulière aberration, une sorte de prussornanie régnant déjà chez les contemporains de Gilbert, qui nous fait préférer la copie à l'original, les commentateurs au texte. L'ennemi a recueilli notre patrimoine tombé en déshérence, et tous nos soins vont, toute notre ambition se borne à recevoir de seconde main quelques bribes, mais combien

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