< Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu
Cette page n’a pas encore été corrigée

C'est vraiment une manière forte, vive et libre. Et dans la belle et si émouvante campagne d'Alsace de 1674, quelle admirable combinaison de la prudence avisée qui utilise le terrain et des mouvements audacieux et imprévus, qui déconcertent l'adversaire ! L'ennemi a passé le Rhin avec des forces deux et trois fois supérieures. Il dispose de quarante mille hommes. Turenne n'en a qu'une quinzaine. Louis XIV, la cour, les ministres, craignent que son armée soit perdue s'il s'obstine. Il peut être tourné et la Lorraine envahie. Qu'il se retire et abandonne l'Alsace. Lui ne veut pas l'abandonner. Il écrit à Louis XIV :

Les ennemis, quelque grand nombre de troupes qu'ils aient, ne sauraient, dans la saison où nous sommes, penser à aucune autre entreprise qu'à celle de me faire sortir de la province où je suis, n'ayant ni vivres, ni moyens pour passer en Lorraine, que je ne sois chassé de l'Alsace ; si je m'en allais de moi-même, comme Votre Majesté me l'ordonne, je ferais ce qu'il aurait peut-être de la peine à me faire faire. Quand on a un nombre raisonnable de troupes, on ne quitte pas un pays, encore que l'ennemi en ait beaucoup davantage ; je suis persuadé qu'il vaudrait mieux, pour le service de Votre Majesté, que je perdisse une bataille que d'abandonner l'Alsace et de repasser les montagnes ; si je le fais, Philippsbourg et Brisach seront bientôt obligés de se rendre ; les Impériaux s'empareront de tout le pays, depuis Mayence jusqu'à Bâle, et transporteront peut-être la guerre d'abord en Franche-Comté, de là en Lorraine, et viendront ravager la Champagne ; je connais la force des troupes impériales, les généraux qui les commandent, le pays où je suis ; je prends tout sur moi et je me charge des événements.

Mais, comment pouvait-il avoir cette confiance ? Parce qu'il savait que ses troupes et ses officiers, pour lesquels il avait une sollicitude si active et si tendre, avaient pour lui un dévouement sans réserve. Les officiers, passionnés par sa grande âme, étaient capables, d'initiative ; tout à l'heure, à la bataille d'Ensheim, près de Strasbourg, c'est « l'initiative » de tous les chefs, comme on dit aujourd'hui, qui « assurera la victoire ». Elle balança pendant quelques

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.