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y a certes beaucoup plus de substance dans Werther que dans René.
Seulement, il y a dans René trois pages environ d’une harmonie et d’une tristesse délicieuses. Il y a certains passages, certaines cantilènes qu’on peut se répéter indéfiniment, et où l’on trouve plus de volupté que dans les plus chantantes et les plus émouvantes phrases de Rousseau :
Sans parents, sans amis, pour ainsi dire, sur la terre, n’ayant
point encore aimé, j’étais accablé d’une surabondance de vie.
Quelquefois je rougissais subitement, et je sentais couler dans
mon cœur comme des ruisseaux d’une lave ardente, quelquefois
je poussais des cris involontaires, et la nuit était également
troublée de mes songes et de mes veilles. Il me manquait quelque
chose pour remplir l’abîme de mon existence : je descendais dans
la vallée, je m’élevais sur la montagne, appelant de toute
la force de mes désirs l’idéal objet d’une flamme future ;
je l’embrassais dans les vents ; je croyais l’entendre dans les
gémissements du fleuve ; tout était ce fantôme imaginaire,
et les astres dans les cieux, et le principe même de vie dans
l’univers.
… J’enviais jusqu’au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l’humble feu de broussailles qu’il avait allumé au coin d’un bois. J’écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur.
… Un secret instinct me tourmentait ; je sentais que je n’étais
moi-même qu’un voyageur ; mais une voix du ciel semblait me dire :
« Homme, la saison de ta migration n’est pas encore venue ; attends
que le vent
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