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342 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

sordides. Dans la ville, dans le printemps inquiet, dans le cœur d'Aschenbach, vie et mort se mêlent, mystérieusement. Avec son col marin, son ruban écarlate, ses pieds nus qu*il pose dans le sable, aussi gracieux qu'Eros, Tadzio c'est la beauté, dont l'univers s'est servi pour traduire la vie spirituelle, et c'est aussi l'infini de l'aspiration décevante. Il est la forme dont l'esprit avait besoin pour se révéler aux regards et atteindre à sa perfection ; mais il représente aussi quelque chose par delà la perfection : la " Sehnsucht, " le désir inapaisé, inapaisable, la soif que l'on a de sa soif : Aschenbach meurt en tendant les bras vers l'évocation si proche et si lointaine.

La beauté à laquelle Aschenbach aspire, tout l'art de Thomas Mann lui-même y tend : " N'est-ce pas la même volonté obscure et familière qui du fond de l'univers a fait jaillir à la lumière la forme plastique de Tadzio, et, de la pesanteur mar- moréenne du langage, l'œuvre de l'écrivain ?... " La beauté est divine, enseigne Socrate à Phaidros, car elle seule achemine à la pensée. Elle en est la forme unique, la seule que les sens puissent saisir, la seule que l'esprit puisse concevoir et retenir. " La pensée qui se résout toute en sentiment, le sentiment tout entier devenu pensée, n'est-ce pas la fortune idéale de l'écrivain ? " Ainsi s'affirme l'effort de l'auteur pour surmonter le romantisme de l'inspiration et atteindre au style. Mais son classicisme ne saurait s'accommoder des formes toutes faites. C'est son harmonie, c'est son équilibre, chaque jour atteint et chaque jour rompu, que recherche le poète " condamné à la folle aventure de son cœur. " Le livre se ferme sur un doute et un espoir : " Il semblait à Aschenbach que le pâle et gracieux psychagogue lui eût fait signe, l'eût précédé, avec un sourire, la main tendue vers le lointain plein de promesse et de démesure..." y faut-il voir le destin de Thomas Mann, plus encore celui de l'Allemagne littéraire actuelle ? Quelque voie qu'elle suive, Thomas Mann y aura marqué durablement son empreinte.

F. B.

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