432 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
souveraine dans l'île solitaire, magie qui figurerait peut-être les jeux de la magie poétique dans les pavillons de son parc, studieux et peuplés de génies ! Et quel son dans l'adieu de Prospero ! « Oui, voilà, grâce à votre aide, jusqu'où mon art a pu porter sa puissance. Mais j'abjure ici cette violente magie, et lorsque je vous aurai ordonné — ce que je fais en ce moment — un peu de musique céleste pour opérer sur les sens de ces hommes le but {sic, traduction de Montégut citée par M. Lefranc) que je pour- suis, but que ce charme aérien est destiné à me faire atteindre, je briserai ma baguette de commandement, je l'enfouirai à plusieurs toises sous la terre ; et plus avant que n'est encore descendue la sonde, je plongerai mon livre sous les eaux. » M. Lefranc remarque que la Tempête, dernière pièce écrite par William Stanley, figure en tête de l'édition in-folio de 1623 (donnée par lui-même sous le nom de Shakespeare et avec le portrait de Shakespeare au frontispice. Quand M. Lefranc expUquera-t-il ces étrangetés ?) et en conclut qu'il voulut faire de cette pièce « comme une introduction à son œuvre, comme le programme, en quelque sorte, de sa con- ception dé la vie et du monde. » Toute l'œuvre shakespearienne prendrait alors un aspect vivant de symphonie unique dans la littérature. C'est un nouveau monde vraiment que M. Lefranc découvrirait à la critique.
Et je songe à la satisfaction qu'en recevrait ce problème si attirant et si décevant des correspondances entre Montaigne et Shakespeare ! Un familier de l'un et de l'autre ne saurait se soustraire à l'idée d'un rapport fraternel et très mystérieux entre leurs deux génies. Trop mystérieux ! Un Anglais a écrit tout un livre pour cataloguer les réminiscences de Montaigne dans Shakespeare. (La traduction de Florio n'ayant paru qu'après les principales pièces de Shakespeare, il a fallu supposer que celui-ci lisait le français ou bien avait eu communication de la traduction manuscrite.) Mais un
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