790 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
qu'à aliéner quelque peu de notre liberté intellectuelle, mieux vaut le faire librement et pour vaincre, que vaincus et par épuisement.
« Pour moi, dis-tu, l'intelligence est d'abord le moyen de distinguer ce qui est de ce qui n'est pas. » Voilà qui est le mieux du monde, mais qui nous laisse en somme à la contem- plation de nos ruines. Le Parti de l'Intelligence ne prétend point du tout, que je sache, saper les bases de la philosophie. Il ne s'agit pas d'empêcher un Descartes de s'enfermer dans un « poêle » afin d'y chercher la vérité ; il s'agit de ramener un peu d'ordre, de discipline, de discrétion, dans la répu- blique bruyante et brouillonne des lettres. Nous poursuivons, dans la Nouvelle Revue Française, un but assez semblable. Alors pourquoi ne pas saluer, avec une joie plus ingénue, la formation d'un groupe dont nous rapprochent tant de préoc- cupations communes ?
Je ne voudrais point paraître déprécier un métier que j'aime, que je respecte et auquel je consacre toutes mes forces. Mais mon voisin le cordonnier a, lui aussi, sa fierté profes- sionnelle ; pour rien au mondp il ne manquerait à l'honnêteté d'un ressemelage ; et pourtant il ne se met pas dans la tête que tous les intérêts du pays doivent s'effacer devant ses semelles. Que le jour vienne bientôt où la pensée française pourra de nouveau se permettre tous les luxes, tous les jeux, toutes les prodigalités, je le souhaite autant que personne ; d'ici là, il manquera quelque chose à la beauté du monde. Mais l'essentiel reste provisoirement d'assurer un peu de recueillement et de silence autour de ceux qui s'efforcent de reconstruire en France autre chose qu'une tour de Babel. Et, tout comme au cours de ces cinq années, il reste néces- saire que les bavards ne fassent pas chez nous le jeu de l'enne- mi. Ne voyons-nous pas des esprits, dont plusieurs méritent par ailleurs la sympathie et même l'admiration, s'oublier jusqu'à vouloir causer des intérêts de l'art avec ceux qui nous
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