< Page:NRF 14.djvu
Cette page n’a pas encore été corrigée

754 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de survivre aux événements passagers qui en ont été l'occasion ; mais ce qu'il écrit sur la littérature et les beaux arts trouve sa place et son conservatoire naturel dans un de ces élégants petits volumes comme le Bol de Chine qui tiennent facilement dans la poche, et qu'il serait si opportun d'en tirer, au cours d'une promenade entre amis, sur quelque banc de parc royal, en une conversation où l'on discuterait, au hasard du doigt dans les pages, quelque paradoxe ou quelque aveu candide de sens commun, en un de ces whists de la pensée on l'auteur est le mort. Le premier morceau, qui donne son titre à l'ouvrage, occuperait une heure de causerie agréable. M. Mille y regrette que la littérature du xix" siècle ne fasse aucune place aux sensations du toucher, qu'elle soit, à cet égard, en retard sur Racine lui-même, et il cherche à se mettre à l'école du bol de Chine onctueux et doux qu'il tourne voluptueusement dans ses doigts. « Aujourd'hui notre vocabulaire n'est plus que d'orateur et de peintre, surtout de peintre, de peintre en surface; le volume, le poids, les richesses du tact en sont absents. Aussi, sans la littérature romantique, est-il possible que la peinture impressionniste ne soit jamais née. » M. Mille, qui est en art voluptueusement réactionnaire, ne pense sans doute pas qu'il donne ici une excellente justification du cubisme et de la réaction contre l'impressionnisme. Outre que sans « littérature » le cubisme ne serait probablement jamais né, tandis que les impressionnistes paraissent avoir été surtout des ana- lystes de la sensation singulièrement purifiés de littérature. Mais, sur le terrain littéraire pur, est-il juste de dire que la poésie du xix" siècle n'ait été qu'oratoire et picturale? Ne s'est-elle pas assi- milé avec Baudelaire le monde des parfums, avec Mallarmé une hyperbole de la musique ? Et la lacune à laquelle songe ici l'auteur avait frappé avant l'intelligence de M. Mille la sensibilité de Renée Vivien. L'auteur de la Vénus des Aveugles a voulu être et a été le poète du toucher. Mais alors nous nous rendons compte que la poé- sie du toucher ne saurait être qu'une poésie erotique. M. Mille sait fort bien que ce n'est pas sur les flancs des bols de Chine que se fait l'éducation voluptueuse de ce sens. Il nous dit que sur lui Racine en savait plus long que nos poètes. 11 pense sans doute à tels vers sensuels de Phèdre. Mais au contraire la vue est le centre et la cité propre de l'art, l'atlas visuel est son répertoire naturel, parce que la

�� �

    Cet article est issu de Wikisource. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.