NOTES 117
qui a composé les danses de Renard, à Larionovqui en a dessiné les décors, les costumes ce n'est nullement de n'avoir pas réussi la réalisation scénique de l'œuvre, c'est de n'avoir pas compris que cette réalisation était impossible. Si puissante, si riche, si bien bâtie est cette musique aux rvthmes complexes, mais rigoureux, implacables, aux sonorités nettes et tranchantes, que le geste, l'image visuelle en la déterminant ne peuvent que l'ap- pauvrir.
Il y a des livres qui ne supportent pas l'illustration juste- ment parce qu'ils sont trop suggestifs ; il en est de même de certaine musique, de celle de Renard en particulier : elle ne sup- porte pas d'être dansée ou mimée, parce qu'elle est trop essen- tiellement musique.
On a souvent répété que la musique n'est capable de provo- quer en nous que des états de conscience plus ou moins vagues, indistincts, flous... Il n'y a rien de plus faux et l'on confond ici « vague » avec « indescriptible » : ce que je sens lorsque j'entends Renard est parfaitement clair, distinct ; c'est un état psvchologique spécifique, infiniment riche et complexe, et qui ne se résoud au brouillard que lorsque j'essaie de le fixer au moven de la parole ou de l'image visuelle.
L'échec de Renard, en tant que ballet, n'est qu'une réplique de celui du Bouffon de Prokofieff, la saison passée : il se répète, cet échec, chaque fois qu'on essaye d'illustrer, d'exprimer par le geste, l'attitude, les formes colorées, une musique suffisam- ment puissante en elle-même, pensée et construite conformé- ment aux affinités spécifiques du monde sonore. On n'applique pas une danse à une musique parce qu'on n'aboutit ainsi qu'à une limitation, à un appauvrissement, mais on enrichit au con- traire la danse, on intensifie, on élargit sa signification en lui adjoignant une musique qu'elle ne cesse de régir et qui ne peut prétendre ainsi qu'à un rôle secondaire. C'est en somme le principe du ballet dit classique.
Dans Mavra, au contraire, le musicien s'est soumis à son texte (qui appartient à un jeune poète, M. Kokhno, d'après un petit poème badin de Pouschkine) ; aussi l'œuvre gagne-t-elle beaucoup à la scène.
Ne me fiant pas à ma première impression, nettement défa- vorable, j'ai été encore entendre et voir Mavra cinq ou six fois,
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