III
JOHN RUSKIN
Comme « les Muses quittant Apollon leur père pour
aller éclairer le monde[1] », une à une les idées de
Ruskin avaient quitté la tête divine qui les avait
portées et, incarnées en livres vivants, étaient allées
enseigner les peuples. Ruskin s’était retiré dans la
solitude où vont souvent finir les existences prophétiques
jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de rappeler à lui
le cénobite ou l’ascète dont la tâche surhumaine est
finie. Et l’on ne put que deviner, à travers le voile
tendu par des mains pieuses, le mystère qui s’accomplissait,
la lente destruction d’un cerveau périssable
qui avait abrité une postérité immortelle.
Aujourd’hui la mort a fait entrer l’humanité en possession de l’héritage immense que Ruskin lui avait légué. Car l’homme de génie ne peut donner naissance à des œuvres qui ne mourront pas qu’en les créant à l’image non de l’être mortel qu’il est, mais de l’exemplaire d’humanité qu’il porte en lui. Ses pensées lui sont, en quelque sorte, prêtées pendant sa vie, dont elles sont les compagnes. A sa mort, elles font retour à l’humanité et l’enseignent. Telle cette demeure auguste et familière de la rue de La Rochefoucauld qui s’appela la maison de Gustave Moreau
- ↑ Titre d’un tableau de Gustave Moreau qui se trouve au musée Moreau.