JOURNÉES
DE LECTURE[1]
Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que
nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous
avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons
passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il,
les remplissait pour les autres, et que nous écartions
comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le
jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage
le plus intéressant, l’abeille ou le rayon de soleil
gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la
page ou à changer de place, les provisions de goûter
qu’on nous avait fait emporter et que nous laissions
à côté de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que,
au-dessus de notre tête, le soleil diminuait de force
dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu
rentrer et pendant lequel nous ne pensions qu’à monter
finir, tout de suite après, le chapitre interrompu,
tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de
percevoir autre chose que l’importunité, elle en
gravait au contraire en nous un souvenir tellement
- ↑ On trouvera ici la plupart des pages écrites pour une traduction de Sésame et les Lys et réimprimées ici grâce à la généreuse autorisation de M. Alfred Vallette. Elles étaient dédiées à la princesse Alexandre de Caraman-Chimay en témoignage d’un admiratif attachement que vingt années n’ont pas affaibli.