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JENNY. — Je ne peux pas vous promettre cela, car je vous tromperais, madame Bathilde, et j’aime mieux vous parler tout franchement. Madame m’a dit tantôt : « Va à Mireville, pendant que je retiens le marquis à Noirac. Vas-y seule et comme pour rendre visite à Bathide, qui t’a invitée fort honnêtement à aller la voir. Sache d’elle la vérité sur ce qui se passe depuis ce matin chez le marquis. Son piqueur a parlé à mon groom de l’arrivée d’une femme singulière : Gérard ne m’en parle pas. Je ne suis pas jalouse ; mais je ne veux pas être trompée. Par adresse ou par franchise, fais parler Bathilde et reviens vite me dire ce que je dois penser de cette aventure. »

BATHILDE. — Eh bien, mon enfant, puisque le piqueur a parlé au groom, et le groom à madame, je peux bien tout vous dire. Le secret de pareilles choses n’est pas possible à garder. Imaginez-vous, ma belle, qu’une demoiselle, une dame, une… tout ce que vous voudrez ! arrive ici ce matin, au petit jour, dans une superbe voiture de poste, quatre chevaux, deux postillons. Nous courons au devant d’elle, nous la recevons très-bien ; mais elle nous pousse, nous bouscule… « C’est bon ! c’est bon !… Je n’ai pas besoin qu’on m’annonce. Où est sa chambre ?… — Mais, madame, il est couché ! — Il se lèvera ! — Il dort… — Il se réveillera ! » Et pif ! pouf ! pan ! la voilà qui monte les escaliers, qui jette les portes, et qui s’enferme avec monsieur le marquis. Au bout d’un instant, on sonne : madame avait des attaques de nerfs, on s’était querellé très-fort ! Il faut la déshabiller, la mettre au lit dans une belle chambre. À peine y est-elle, qu’elle demande une bouteille de bordeaux et deux côtelettes. Puis elle nous dit bonsoir, tire ses rideaux et s’endort comme si de rien n’était. Monsieur le marquis monte à cheval en me disant : « Bathilde, débarrassez-moi de cette femme-là comme vous pourrez ; que je ne la retrouve pas ici ce soir ! » Comme c’est facile !… Et le voilà parti ! Je monte chez la dame, je frappe, bon ! Les verrous sont fermés, et voilà qu’il est cinq heures et qu’elle n’a bougé depuis ce matin. Je ne sais si elle est morte ou vivante. Je

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